Les rêves ne meurent jamais

Le présent comme émotion

Extrait de "Journal 01" , le personnage principal s'interroge sur la nature du temps.

Le temps passe vite, c'est la phrase que tout le monde sort au moins une fois dans sa vie. La dernière fois que j'ai pu entendre ces mots, je me suis rendu compte que ce n'était pas l'impression que j'avais eu du temps jusqu'à présent. Au contraire, c'est peut-être parce que je suis encore jeune, mais j'ai l'impression justement que le temps est infini.

Pourtant je comprends bien que ce qui est passé n'est plus à venir et que ce qui est à venir n'est pas encore passé, que le présent n'est que le point d'intersection entre ce qui est arrivé et ce qui va arriver, je le sais, je m'en suis rendu compte, mais... les jours passent les uns après les autres et j'essaye de leur survivre à tous. Le temps n'est qu'une passerelle qui mène à la prochaine étape de ma vie, au prochain point de passage.

Je me demande si un jour j'aurais davantage conscience de ce temps qui passe. Est-ce que lorsque l'on vieillit, parce qu'on se rend compte que l'on va mourir, on voit défiler ce fameux temps ? Est-ce qu'on finit par en avoir peur ? Alors la seule chose qu'il peut représenter ensuite c'est un sablier qui mène à la fin ? Est-ce qu'un jour j'en viendrai à avoir peur du temps comme beaucoup d'adultes ? Est-ce qu'un jour ce temps, qui me paraît infini, prendra fin ? Est-ce qu'un jour, quand je verrai la mort arriver, je compterai les minutes, les secondes, moi aussi ?

Aujourd'hui le temps ne me fait pas peur. Je trouve que le quotidien est quelque chose de rassurant. Le quotidien est quelque chose qui écarte de la conscience même que le temps passe. Je vais au lycée, ce sont les vacances, je fais mes devoirs, je me lève chaque matin pour faire le même chemin, aller au même endroit chaque jour, apprendre les mêmes choses chaque année. Souffrir du même ennui, qu'importe quels sont les gens autour de moi.

Il y a des philosophes qui disent que le temps n'est pas réel, qu'il n'est qu'une perception humaine. Est-ce que les animaux ont conscience du temps ? Pourquoi vieillit-on si le temps n'est pas un facteur de notre monde ? Pourquoi compte-t-on les jours qui nous séparent de la mort si le temps n'est pas réel ? Le temps ne se mesure-t-il pas par l'âge justement ? Si l'on ne vieillit pas, le temps ne passe pas, mais nous avons la preuve de ses marques sur chacun de nos corps lorsque les rides arrivent. Ne sont-elles pas provoquées par le temps ?

Le temps n'est certainement pas quelque chose que l'on peut toucher ou approcher de façon scientifique. Je pense que c'est davantage un travail de l'esprit, de l'imaginaire. Cela ne l'empêche pas d'être physiquement remarquable, mais il ne peut pas être attraper, contrôler. Il ne peut qu'être observé mais pas à l'état brut. On ne voit pas le temps, on le ressent. On l'observe parce qu'il y a ces marques sur nos corps. On le ressent parce qu'on oublie ou qu'on se souvient. On le sent parce qu'on se rend compte que les blessures de l'âme font de moins en moins mal au fil des jours. Le temps est réel, mais ce n'est pas quelque chose que la science peut expliquer, que la science peut concevoir.

On ne voit pas le temps. C'est comme l'infini, on ne peut pas le concevoir en tant qu'humain. C'est quelque chose qui semble impossible, une chose pour laquelle nous n'avons pas d'explication. Et pourtant... pourtant l'univers n'a pas de fin et le temps file entre nos doigts. On ne peut pas capter des choses aussi pures et brutes que le temps et l'espace. Les gens disent que c'est ce qui définit notre monde, nos vies, nos actes. Le temps et l'espace ne sont pas perceptibles par des âmes dénuées d'imagination, dénuées d'innocence et d'ouverture d'esprit. Le temps et l'espace sont les deux seules choses que l'humain ne pourra jamais contrôler et c'est pour ça que ce sont des choses qui l'effrayent. On ne peut pas les contrôler.

C'est pour ça que le temps ne me fait pas peur. C'est pour ça que je vois plus le temps comme un ami que comme un ennemi. Je ne peux pas le contrôler. Je le sais, et je n'ai jamais voulu le contrôler. Je n'ai pas encore appris à avoir peur de lui. La vie passe pour moi aussi, les jours défilent et les années s'entassent, mais je n'ai pas peur. Je vois bien qu'il passe, il suffit de regarder la date du premier écrit de ce journal, c'était il y a déjà trois ans. Mais je n'ai pas peur lorsque je vois cette date s'afficher.