Chapitre 9

1 0 0
                                    

Alma, son compagnon et la Gardienne marchèrent en silence à travers la Forêt des Ames Perdues. Leurs pas étaient légers sur le tapis de feuilles mortes, et autour d'eux, les spectres d'âmes errantes flottaient comme des ombres au gré du vent. La jeune fille sentait leur présence comme une brume oppressante, et elle comprenait que chaque âme qu'elle voyait représentait une vie brisée, un destin qui n'avait jamais été accompli. 

La Gardienne s'arrêta soudain devant un chêne massif dont le tronc tordu semblait raconter des siècles de douleurs. A sa base, une lumière douce et pâle émanait d'un creux, comme une blessure ouverte dans l'écorce de l'arbre.

- Voici le premier des noeuds que tu devras défaire, murmura la Gardienne, chaque noeud est une mémoire, un moment de souffrance que tu devras revivre pour libérer l'âme qui y est liée. 

Alma sentit une vague d'appréhension monter en elle, mais elle prit une profonde inspiration. Elle savait qu'elle n'avait pas d'autres choix si elle voulait avancer. Elle s'approcha du chêne, posant une main tremblante sur l'écorce rugueuse. La lumière dans le creux sembla vibrer sous son toucher, comme une réponse à sa présence. 

- Sois prête, dit doucement son compagnon tout en restant à ses côtés, je suis avec toi. 

La jeune fille hocha la tête, et se concentra sur la lumière. Elle ferma les yeux, et en un instant, elle fut transportée dans un autre lieu, un autre temps.

**

Elle se tenait au milieu d'une petite maison, modeste mais chaleureuse. Le feu crépitait dans l'âtre, et une table était dressée avec soin pour un repas simple. A cette table, une femme était assise, les yeux fixés sur la porte d'entrée. Son visage, bien que marqué par les ans, portait encore les traces de sa beauté passée, mais ce qui frappait le plus Alma, c'était l'expression d'attente désespérée dans ses yeux.

La jeune fille comprit qu'elle vivait une scène du passé, une mémoire douloureuse que cette âme revivait encore et encore.

La porte s'ouvrit soudain, et un homme entra. Il portait des vêtements de voyage, couverts de poussière. Son vidage était tiré, épuisé, mais une lueur d'espoir brillait dans ses yeux lorsqu'il aperçut la femme. Il se précipita vers elle, s'agenouillant à ses pieds.

- Je suis revenu, murmura-t-il d'une voix brisée, je suis désolé d'avoir été si long. Je t'ai cherché partout...

La femme tendit la main vers lui, mais ses doigts se figèrent à mi-chemin, et son visage se durcit.

- Tu es revenu trop tard, dit-elle avec une amertume qui fit frissonner Alma, le temps que tu as passé à me chercher, je l'ai passé à t'attendre. Et avec chaque jour qui passait, mon espoir qui mourait un peu plus. Maintenant, il ne reste plus rien de ce que nous avions. 

L'homme semblait anéanti par ces mots. Il s'accrocha à la main de la femme, implorant son pardon. Mais elle retira sa main et ses yeux se détournèrent de lui comme s'il n'était plus rien.

La jeune fille pouvait sentir le poids du regret et de la douleur dans l'air, si lourds qu'ils semblaient écraser les deux amants. Elle compris alors que l'âme de cet homme était liée à ce moment précis, à cet échec à retrouver son amour à temps. Et que ce noeud de désespoir l'avait empêché de trouver la paix.

**

De retour dans la forêt, Alma ouvrit les yeux, le coeur lourd de ce qu'elle avait vu.

- Comment puis-je libérer cette âme, demanda-t-elle à la Gardienne, sa voix empreinte d'une tristesse nouvelle.

La Gardienne la regarda avec une compréhension profonde.

-  Ce que tu as vi n'est qu'une version des faits. Pour défaire ce noeud, tu dois offrir à cette âme une autre perspective, une autre vérité. Parfois, il ne s'agit pas de changer le passé, mais de réinterpréter la douleur, de voir ce qu'elle cachait de plus profond.

La jeune fille hocha la tête, réfléchissant aux paroles de la Gardienne. Elle comprenait que l'homme avait été victime de circonstances qui lui avaient échappé. Mais la femme... Son coeur brisé l'avait rendue aveugle à l'amour qui revenait vers elle. Alma sentit que le pardon devrait venir d'un lieu au delà du temps, au delà des erreurs humaines.

Elle ferma à nouveau les yeux, se concentrant sur l'amour qui unissait les âmes, cet amour qu'elle avait elle-même découvert au fil de son propre voyage. Elle murmura une prière silencieuse, demandant à l'univers se permettre à cet homme de trouver la paix, et à cette femme de voir au delà de sa douleur. 

Une chaleur douce l'enveloppa, comme une étreinte invisible. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, la lumière dans le creux de l'arbre s'était intensifiée, et une silhouette apparut brièvement devant elle - l'homme, son visage apaisé, enfin libre de son fardeau.

- Merci, murmura-t-il avant de s'évanouir dans la lumière, emportant avec lui la douleur qui l'avait si longtemps emprisonné. 

Le noeud avait été défait. 

** 

Alma recula de l'arbre, se sentant à la fois épuisée et allégée. Son compagnon l'enveloppa dans ses bras afin de lui transmettre sa force.

- Tu as réussi, dit-il doucement.

- Ce n'est que le premier, répondit la jeune fille, ses yeux se posant sur la Gardienne qui l'observait avec une expression de respect profond.

La Gardienne s'inclina légèrement. 

- Vous avez fait un grand pas aujourd'hui, Alma. Mais il reste encore d'autres âmes à libérer, et chacune d'elles portera son propre fardeau, sa propre douleur. Etes-vous prête à continuer?

Alma prit une grande inspiration, sentant la responsabilité de sa mission peser sur elle. Mais en même temps, elle savait que chaque âme libérée les rapprochait un peu plus du Coeur du Monde et de la fin de leur quête.

- Je suis prête, dit-elle avec détermination, ensemble, nous les libèreront toutes.

Et ainsi, le trio se prépara à affronter les autres noeuds de la forêt, chacun représentant une nouvelle épreuve pour l'âme et le coeur d'Alma. Mais elle savait désormais qu'elle possédait en elle la force de transformer la douleur en lumière et la perte en espoir.

Le Fil des ÂmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant