Le Fil des Âmes

Chapitre 16

Alma, son compagnon et la Gardienne traversèrent la Forêt des Ames Perdues, leurs pas résonnant sur le sol mousseux, marquant la dernière étape avant l'inconnu. Le silence s'était installé parmi eux, alourdi par l'appréhension du voyage qui les attendait. L'ombre de ce qui devait être accompli planait au- dessus d'eux, et l'air semblait plus épais, chargé d'une tension palpable. 

Alma pouvait sentir, au plus profond d'elle-même, la proximité de l'être surnaturel qu'elle devait libérer. Depuis qu'elle avait entendu le Chant du Destin, une partie d'elle ne cessait de tendre vers ce fil rouge brillant, guidée par une force qu'elle n'avait jamais ressentie auparavant. Ce fil, qui traversait les dimensions, semblait vibrer avec une urgence nouvelle, comme s'il savait que le moment était venu.

Ils atteignirent finalement le bord de la forêt, où les arbres se faisaient plus clairsemés, laissant entrevoir un ciel qui prenait une teinte violette, presque irréelle. Au delà de la lisière, s'étendait une vaste plaine parsemée de pierres noires, déchiquetées, qui formaient un étrange motif chaotique sur le sol. En plein centre de cette plaine, un portail se dressait, tourbillonnant lentement, comme un vortex d'ombre et de lumière. 

- C'est ici, dit la Gardienne, s'arrêtant à quelques pas du portail. Ce portail te mènera à l'Autre Dimension, là où est emprisonné l'être que tu cherches. Mais une fois que tu auras franchi cette porte, il n'y aura plus de retour en arrière possible jusqu'à ce que ta mission soit accomplie. 

Alma inspira profondément sentant le poids de cette décision. Elle jeta un regard à son compagnon, qui lui offrit un sourire encourageant, bien qu'elle puisse lire l'inquiétude dans ses yeux. Elle savait qu'il n'avait jamais douté d'elle, mais les dangers qui les attendaient de l'autre côté du portail étaient inconnus, insondables. 

- Nous irons ensemble, déclara-t-il, serrant sa main dans la sienne. Nous avons traversé tant d'épreuves déjà. Celle-ci ne sera qu'une de plus. 

La jeune fille hocha la tête, réconfortée par sa présence. Elle se tourna ensuite vers la Gardienne, cherchant un dernier conseil avant de se lancer dans l'inconnu.

- Souviens-toi, dit la Gardienne sa voix empreinte de sagesse et de gravité, les ombres dans l'Autre Dimension ne sont pas simplement des créatures. Elles sont les manifestations des peurs, des regrets et des doutes. Elles chercheront à te briser en utilisant tes faiblesses contre toi. Mais tu as la force nécessaire pour les affronter. Garde en toi la lumière du fil rouge, et ne laisse jamais l'ombre prendre le dessus.

Avec ces mots en tête, Alma se tourna vers le portail. Le vortex d'ombres semblait l'appeler, un murmure distant résonnant dans son esprit, promettant des vérités cachées, des révélations qu'elle ne pourrait trouver nulle part ailleurs. Elle savait qu'elle devait y aller, non seulement pour libérer l'être surnaturel, mais aussi pour se libérer elle-même des chaines invisibles qui la retenaient encore. 

- Je suis prête, déclara-t-elle, serrant la main de son compagnon plus fort avant de faire un pas vers le portail. 

Ils avancèrent ensemble, la Gardienne les regardant disparaitre dans le tourbillon sombre, une expression de profonde sérénité sur le visage. Elle savait que leur voyage ne faisait que commencer, mais elle avait confiance en Alma. La jeune femme avait prouvé qu'elle était capable d'affronter les épreuves qui l'attendaient. 

Le passage à travers le portail fut à la fois instantané et infini. Alma eut l'impression de se dissoudre dans un océan de ténèbres, son corps se désagrégeant pour devenir une partie de l'ombre elle-même. Mais au centre de cette obscurité, elle sentit la lueur familière du fil rouge, une ancre qui la maintenait entière, qui la guidait à travers le néant. 

Puis, aussi soudainement que tout avait commencé, Alma se retrouva projetée dans un autre monde. Elle et son compagnon se tinrent au bord d'un vaste paysage désertique, un ciel éternellement crépusculaire au-dessus d'eux. Le sol était composé d'une poussière noire qui s'élevait en volutes à chaque pas, et l'air semblait chargé de murmures, des voix indistinctes qui chuchotaient aux confins de la conscience. 

Devant eux s'étendait une vaste structure, un château noirci par le temps, ses murs crénelés semblant se fondre dans l'obscurité environnante. Des tours massives s'élevaient vers le ciel sans étoiles, entourées d'un brouillard dense qui se mouvait lentement, comme s'il était vivant. C'était là, Alma le savait instinctivement, que l'être qu'elle devait libérer était retenu prisonnier. 

- Ce lieu... murmura son compagnon le regard fixé sur le château, il semble vivre, respirer.

Alma acquiesça. Elle sentait les même vibrations, une énergie ancienne et puissante qui pulsait dans l'air, comme le battement d'un coeur gigantesque. C'était un lieu de pouvoir, mais aussi de désespoir. Elle pouvait presque entendre les cris des âmes qui avaient été perdues ici, piégées dans les ténèbres. 

Ils avancèrent lentement vers le château, chacun de leurs pas résonnant dans l'étrange silence qui les entourait. Plus ils se rapprochèrent, plus la jeune fille pouvait sentir la présence de l'être surnaturel. C'était une force écrasante, à la fois terrifiante et étrangement familière, comme une part d'elle-même qui lui avait été arrachée depuis longtemps. 

Alors qu'ils atteignaient les grandes portes du château, un grondement sourd résonna à travers le sol, suivi d'un éclat de lumière rouge qui illumina brièvement l'obscurité. Les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes dans un gémissement sinistre, révélant un hall immense, plongé dans les ombres. 

Alma échangea un regard avec son compagnon, puis, sans un mot, ils pénétrèrent à l'intérieur. Le hall était silencieux, à l'exception de ce même murmure qui semblait émaner des murs eux-mêmes. Des colonnes massives soutenir un plafond invisible dans les ténèbres, et des escaliers de marbre noir menaient à des niveaux supérieurs, perdus dans l'ombre. 

- Nous devons monter, déclara Alma, guidée par une intuition profonde.

Ils commencèrent à gravir les marches, leur progression rythmée par les échos de leurs pas sur la pierre froide. A mesure qu'ils montaient, les murmures se faisaient plus intenses, comme si les ombres autour d'eux tentaient de les avertir ou de les effrayer. Mais Alma restait concentrée, son esprit fixé sur le fil rouge qui la guidait. 

Enfin, ils atteignirent une grande salle circulaire, située au sommet de l'une des tours. Les murs étaient tapissés de miroirs anciens, tous ternis par le temps, mais chacun reflétait une version différente de la réalité. Au centre de la salle se trouvait une gage faite d'une matière étrange, à la fois solide et immatérielle, ses barreaux scintillant d'une lumière froide.

A l'intérieur de la cage se tenait l'être surnaturel, une silhouette imposante, enveloppée d'une cape noire, son visage dissimulé dans les ombres. Pourtant, Alma pouvait sentir la puissance qui émanait de lui, une force brute, mais entravée, comme un animal sauvage piégé dans un filet invisible. 

- Tu es enfin venue, murmura une voix grave, résonnant à travers la salle comme un écho profond. J'ai attendu ce moment depuis si longtemps.

La jeune fille s'avança, son coeur battant à tout rompre.

- Qui es-tu? demanda-t-elle, même si une part d'elle connaissait déjà la réponse. 

La silhouette leva lentement la tête, révélant des yeux d'un rouge incandescent, qui la fixaient avec une intensité terrifiante.

- Je suis l'autre extrémité de ton fil rouge, celui que tu as cherché. Mais je suis aussi bien plus que cela.

Un silence lourd tomba sur la salle, et Alma sentit la réalité vaciller autour d'elle. Ce qu'elle voyait, ce qu'elle ressentait, était bien plus complexe que tout ce qu'elle avait imaginé.

- Tu as le pouvoir de me libérer, continua la voix, son ton empreint de puissance et de désespoir. Mais pour ce faire, tu devras affronter les ombres les plus sombres de ton âme. Es-tu prête à faire face à ce qui se cache au plus profond de toi?

Alma sentit le poids de la question, comprenant que ce qui se déroulerait ici changerait non seulement son destin, mais aussi celui de tous ceux qui étaient liés elle.