Le Fil des Âmes

Chapitre 10

Alma, son compagnon et la Gardienne poursuivirent leur progression à travers la Forêt des Ames Perdues, laissant derrière eux le chêne où ils avaient libéré la première âme tourmentée A chaque pas, la forêt semblait se resserrer davantage autour d'eux, les arbres se penchant comme s'ils cherchaient à les retenir, à les décourager. Mais Alma, forte de sa première victoire, marchait avec une détermination nouvelle.

Le chemin devint de plus en plus sinueux, et la brume, plus épaisse, se refermait autour d'eux comme un voile impénétrable. Ils marchaient dans un silence seulement brisé par les battements du coeur d'Alma et les murmures indistincts des âmes qui flottaient autour d'eux, toujours présentes et toujours désespérées.

- Où allons nous maintenant, demanda la jeune fille à la Gardienne, qui semblait les guider d'un pas sûr malgré l'épaisseur du brouillard.

- Au coeur de la forêt se trouve le Miroir des Illusions, répondit la Gardienne sans prendre la peine de se retourner, c'est là que sont piégées les âmes qui, trop consumées par leurs désirs inassouvis, ont fini par se perdre elles-mêmes. Elles sont enfermées dans des illusions, des reflets déformés de leurs propres espoirs et peurs. C'est le prochain noeud que tu devras défaire.

La jeune fille fronça les sourcils, un frisson remontant dans le dos. Elle avait entendu des histoires sur des miroirs magiques, des objets capables de montrer la vérité la plus crue ou de plonger les âmes dans des mensonges dévastateurs. Ce qu'elle s'apprêtait à affronter semblait bien plus dangereux que tout ce qu'elle avait imaginé.

Apres une marche qui parut durer une éternité, ils débouchèrent enfin sur une clairière où régnait un silence étrange, presque assourdissant. En son centre, un grand miroir se dressait, encadré de branches et de racines entrelacées comme s'il avait poussé là naturellement. Sa surface était lisse comme de l'eau calme, reflétant non pas l'extérieur, mais des images indistinctes, changeantes, comme si le miroir contenait des mondes entiers en son sein.

- Le Miroir des Illusions, annonça la Gardienne d'une voix solennelle, pour défaire le noeud qui s'y trouve, tu devras affronter les illusions qu'il te montrera. Mais prends garde, Alma. Ce miroir a le pouvoir de révéler non seulement ce que tu redoutes, mais aussi ce que tu désires le plus. Et dans ces illusions, il est facile de se perdre.

Alma hocha la tête, bien consciente du danger, mais déterminée plus que jamais à ne pas faillir. Elle s'avança vers le miroir, son reflet s'y dessinant progressivement. Son compagnon la suivit de près, prêt à la soutenir dans cette nouvelle épreuve.

- Que dois-je faire, demanda la jeune fille  en fixant son propre reflet, qui semblait lui renvoyer un regard plein de doutes et de peurs.

- Regarde dans le miroir, répondit la Gardienne, et cherche l'illusion qui retient l'âme prisonnière. Tu devras distinguer la vérité du mensonge, et aider l'âme à se libérer de l'emprise de ses illusions. 

Alma respira profondément et fixa le miroir. Aussitôt, la surface argentée se mit à onduler, comme une mare troublée par une pierre, et des images commencèrent à se former. Elle vit d'abord des visages familiers, des lieux qu'elle connaissait, mais tout était flou, déformé, comme vu à travers un voile. Puis les images changèrent devenant plus nettes, plus claires.

Elle se retrouva soudain dans une vaste plaine baignée par la lumière du crépuscule. Le ciel était teinté d'or et de pourpre, et un vent doux faisait onduler l'herbe autour d'elle. Au loin, elle aperçut une silhouette qui marchait lentement vers elle. Son coeur dit un bond lorsqu'elle reconnut le visage de sa mère, souriante, les bras tendus comme pour l'accueillir.

- Alma, murmura la silhouette avec une tendresse infinie, viens mon enfant. Tu as tant souffert. Repose toi.

La jeune fille sentit une vague de nostalgie et de chagrin l'envahir. Elle n'avait pas revu sa mère depuis des années, depuis ce jour où elle l'avait perdu. Le désir de la rejoindre, de retrouver cette chaleur maternelle, était presque irrésistible.

Mais une voix en elle, celle de la raison, lui rappela que ce qu'elle voyait n'était qu'une illusion, un piège tissé par le miroir. Elle ferma les yeux, secouant la tête, refusant de se laisser happer par ce mensonge.

- Ce n'est pas réel, murmura-t-elle en se forçant à se détourner de la silhouette, ce n'est qu'une illusion.

La plaine disparut aussitôt, se dissipant comme de la fumée. Alma se retrouva à nouveau face au miroir, mais cette fois, ce n'était pas son propre reflet qui l'observait. 

Elle vit un homme, d'âge mûr, vêtu de haillons, il semblé creusé par la faim et la douleur. Il tenait un enfant par la main, un petit garçon à l'air triste et abattu. L'homme regardait autour de lui avec désespoir, comme s'il cherchait quelque chose qu'il ne pouvait atteindre.

Alma comprit qu'elle voyait là l'âme prisonnière, piégée dans une illusion de désespoir. Elle tendit la main vers le miroir, essayant d'entrer en contact avec l'homme.

- Qui es-tu? demanda-t-elle, sa voix douce mais ferme. 

L'homme sembla l'entendre, car il se tourna vers elle, ses yeux pleins de larmes.

- Je suis... je suis personne, dit-il sa voix brisée, j'ai perdu tout ce que j'avais. Mon fils... ma vie... tout est parti en fumée. Il ne reste plus rien pour moi.

Alma sentit le désespoir de cet homme, son sentiment de perte, et elle comprit que c'était ce qui le maintenait prisonnier de l'illusion. Mais elle devait lui montrer que même dans les ténèbres, il restait une lueur d'espoir, une chance de rédemption. 

- Tu n'es pas seul, dit-elle doucement tentant de faire passer tout sa compassion à travers le miroir, ton fils est avec toi, et tant que vous êtes ensemble, il y a toujours de l'espoir.

L'homme secoua la tête, refusant d'y croire.

- Non, c'est trop tard... Je l'ai perdu...

- Non, insista la jeune fille en se rapprochant encore plus du miroir, tu n'as pas tout perdu. Regarde ton fils, il a besoin de toi. Si tu abandonnes, il se perdra aussi. Vous pouvez encore vous en sortir, mais seulement si tu acceptes de lâcher prise sur ce qui est déjà perdu, et de te concentrer sur ce qui peut être sauvé.

L'homme regarda son fils, puis Alma. Une lueur de compréhension traversa ses yeux, comme s'il voyait enfin au delà de son désespoir. Il serra la main de l'enfant, et un léger sourire se dessina sur ses lèvres.

- Tu as raison... murmura-t-il. Il est encore temps... 

La surface du miroir vibra, et l'image de l'homme et de l'enfant se dissipa lentement. Une lumière douce jaillit du miroir, et Alma sentit une chaleur bienveillante l'envelopper. Le noeud venait d'être défait, l'âme libérée de son illusion.

La jeune fille recula et pris une grande inspiration. La Gardienne s'avança vers elle, un sourire discret sur le visage. 

- Tu as bien fait, Alma. Chaque illusion que tu brises rapproche ces âmes de la paix. Mais sois toujours vigilante. Ce miroir peut aussi te montrer ce que tu désires le plus, et cela peut être encore plus dangereux.

Alma acquiesça, consciente du péril qui continuer de rôder. Mais elle se sentait plus forte, plsu résolue que jamais à mener cette mission à bien.

- Je suis prête pour le prochain défi, déclara-t-telle déterminée, allons libérer ces âmes une à une.

La Gardienne hocha la tête et, avec son compagnon à ses côtés, la jeune fille se tourna à nouveau vers le miroir, prête à affronter les illusions suivantes et à défier les ténèbres qui essayaient de les retenir.