Chapitre 22

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Asia

Mon interruption stoppe net les mouvements de l'enchevêtrement de corps qui se trouvent sur le lit. Une tête se distingue des autres et il ne s'agit nulle autre que de celle de ma très chère sœur. Si je n'étais pas aussi choquée face à cette vision, je rigolerais presque.

— Anya ? halète-t-elle, avant de se tortiller pour échapper à la prise de ses partenaires sexuels.

Je dois avouer que la voir perdre la face me fait un bien fou, mais en même temps, je n'arrive pas encore à prendre conscience de ce que j'ai sous les yeux. Par contre, ce n'est pas le cas de Nat qui, si j'en crois le petit « clic » qui résonne à mon oreille, s'est fait une joie de prendre cette scène en photo.

— Messieurs dames, lance-t-elle d'une voix forte, j'ai bien peur que votre petite sauterie vienne de prendre fin. Merci de vous diriger vers la sortie.

Peu à peu, les cinq corps qui occupaient le lit se mettent en mouvement et quittent la pièce, non sans nous fusiller du regard au passage. Cependant, la mauvaise humeur des partenaires de sexes de ma sœur sont le cadet de mes soucis.

— Eh bien, si jamais on m'avait dit un jour que je trouverais la parfaite Tamila dans une orgie, je ne l'aurais pas cru, lâché-je avec un large sourire. Pas de doute, maman aurait une crise cardiaque en voyant sa précieuse petite fille en train de fricoter avec aussi bien des hommes que des femmes.

— Qu'est-ce que tu fous là, Anya ! gronde-t-elle en se levant à son tour, pas le moins du monde embarrassé par sa nudité.

— Je voulais voir ma grande sœur. Mais visiblement, je suis arrivée au mauvais moment, répliqué-je avec un air de sale gosse qui, je sais, la met en pétard. Coitus interruptus, si j'en crois ta mauvaise humeur.

Furieuse, elle finit par enfiler un kimono en soie avant de s'installer sur l'un des canapés en velours. J'observe ce dernier et grimace de dégoût en imaginant ce qui a bien pu se passer dessus.

— Je suis étonnée que tu ais quitté ta villa dans le Nord, est-ce que Royce a enfin compris quel genre de fille tu es et t'a mis à la porte ?

— Non, en vérité, c'est moi qui suis partie, riposté-je. Après qu'il m'ait demandé s'il pouvait m'épouser à ta place.

Ce que j'ai refusé.

Ne s'attendant visiblement pas à cette annonce, Tamila contracte les mâchoires et me maudit sans doute en silence.

— Ça ne m'étonne pas, il n'a toujours eu d'yeux que pour toi. Tu n'imagines pas à quel point c'était pathétique.

— Le vert de la jalousie ne te va pas, Tamtam, dis-je en appuyant bien sur le surnom d'enfant qu'elle déteste.

— Donc, tu viens ici pour jubiler ? Si j'étais toi, j'éviterais car on sait toutes les deux que, ton attitude de sainte-nitouche, ce n'est que du vent. Je suis même prête à parier que Vassili serait d'accord avec moi.

À la mention de notre frère, chacun de mes muscles se contractent et mon sang se glace dans mes veines.

— Oh, mais il semblerait que j'ai touché un point sensible ! se moque-t-elle en se servant un verre d'alcool.

— Ne parle pas de ce que tu ne sais pas, Tamila, grondé-je en reprenant du poil de la bête.

— Oh mais crois-moi, j'en sais assez pour te ruiner, très chère petite sœur, fanfaronne-t-elle avant de poser les yeux sur Nat, qui se trouve à mes côtés. Je vois que tu t'acoquines toujours des mauvaises personnes. Est-ce qu'elle aussi est passée entre les mains de notre frère ? Ou à l'un de ses amis ? Parce que de ce que j'ai compris, ils aiment bien partager entre eux.

Natasha pose une main sur mon épaule lorsque je fais un pas en avant. La colère brûle tellement dans mes veines que si elle ne m'avait pas arrêté, je crois que j'aurais pu faire ravaler son sourire sadique à ma sœur aînée. Je n'en reviens pas de la nonchalance avec laquelle elle dit les choses, comme si c'était tout à fait normal, alors que non, c'est loin d'être normal.

— Tu sais ce qu'il m'a fait et tu n'as même pas levé le petit doigt ? craché-je en sentant mon cœur se couvrir de glace.

Si j'ai appris quelque chose au cours de mon exil, c'est que parfois, il vaut mieux ne rien ressentir du tout, que se laisser submerger par ses émotions. Et c'est exactement ce qui se passe à cet instant précis. Je redeviens la Asia qui a quitté la ville deux ans plus tôt, brisée et engourdie.

— Ne fait pas l'innocente, Anya, reprend-elle avec lassitude. Ce qui t'es arrivée, tu l'avais bien cherché, on le sait toutes les deux.

— T'es sérieuse ? JE l'avais bien cherché ?

— Oh ça va, arrête de faire ta drama queen ! élude-t-elle d'un geste de la main. Tu as toujours su que Vassili avait une obsession bizarre pour toi, donc ne fait pas comme si tu ne t'y attendais pas. Tu savais très bien que t'acoquiner avec Royce le rendrait fou de jalousie. Comme d'habitude, tu t'es arrangée pour avoir toute l'attention sur toi.

Ces mots sont dits avec un tel détachement que je recule d'un pas, comme s'ils m'avaient frappés, car c'est exactement ce que je ressens à cet instant précis.

— Tu te rends compte de ce que tu dis ? parvins-je à dire, malgré ma gorge nouée.

Pas le moins du monde perturbée par les tourments qui m'habitent, Tamila hausse les épaules tout en s'admirant les ongles.

Comment peut-elle être aussi stoïque face à toute cette histoire ? Comment est-elle capable de me balancer ce genre de choses sans sourciller ?

— Depuis quand est-ce que tu es devenue un monstre ?

— C'est la loi de la jungle, Anya, et si tu avais été plus forte, tu l'aurais comprise depuis longtemps.

La main de Natasha sur mon épaule se fait plus lourde lorsqu'elle me tire hors de la pièce. Complètement abattue et déphasée, nous traversons le club sans vraiment que je m'en rende compte et, ce n'est qu'une fois sur le trottoir que je m'autorise enfin à craquer. Heureusement, mon amie est là pour moi et me serre dans ses bras tandis qu'une fois de plus, un membre de ma famille me met à terre. À travers mes sanglots, je parviens à distinguer des voix, mais je suis incapable de comprendre ce qui est en train de se dire. Tout ce que je sais, c'est que Natasha s'éloigne de moi, mais que rapidement, une autre personne vient me prendre dans ses bras. Je reconnais sans mal le parfum de la seule personne qui ne m'ait pas encore abandonné et je m'accroche à lui tel un roc.

— Je suis là, kotenok, murmure-t-il à mon oreille.

— Pourquoi ? sangloté-je. Pourquoi ?

Bien évidemment, personne n'est capable de me répondre car, tout simplement, il n'y a aucune réponse à cette question.

— Merci de m'avoir appelé, entends-je malgré mes pleurs.

— Toi seul est en mesure de la rassurer et d'être là pour elle, Royce, alors ne fous pas tout en l'air, tu veux ? Je détesterais avoir à détacher cette si jolie tête du reste de ton corps.

Je le sens hocher la tête, puis se relever, tout en me gardant contre lui. Je lui en suis reconnaissante car j'ignore si mes jambes auraient été capable de me supporter.

Royce me porte jusqu'à sa voiture, qui se trouve être garée en double file, attirant le mécontentement de nombreux automobilistes, mais ça ne semble pas déranger le chef de la sécurité plus que ça. Une fois que je suis en sécurité dans l'habitacle, il en fait rapidement le tour avant de s'installer sur le siège conducteur et de quitter le plus rapidement possible cet endroit. Après de longues minutes de route, je parviens enfin à me calmer et c'est à ce moment-là que je sens une main se poser sur la mienne.

Je tourne mon visage vers Royce, après avoir essuyé mes joues humides de ma main libre, puis noue ses doigts aux miens.

— Merci d'être venue, chuchoté-je alors qu'il embrasse tendrement mes phalanges.

— Toujours, kotenok, toujours.


Let the World BurnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant