Chapitre 10 : Les Nouveaux Prométhées

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Après ce qui sembla être des heures d'une attente interminable, Élise sentit enfin un faible regain de conscience l'envahir. Lentement, avec une difficulté extrême, elle parvint à entrouvrir les yeux, comme si ses paupières étaient alourdies par des chaînes invisibles. Le monde autour d'elle n'était qu'une masse indistincte, floue, baignée dans une lumière crue et blafarde qui semblait vouloir transpercer ses rétines, encore trop sensibles pour supporter une telle agression. Une douleur sourde, comme un écho lointain d'un coup porté à sa tête, pulsait à l'arrière de son crâne, tandis qu'un froid glaçant commençait à s'infiltrer sous sa peau, s'étendant jusqu'à ses os, comme si le gel même de la mort avait commencé à s'installer en elle.

Elle tenta de bouger, de lever un bras, de fléchir une jambe, mais son corps tout entier semblait refusait d'obéir. Ses membres, lourds et engourdis, étaient prisonniers d'une léthargie tenace, une torpeur contre laquelle elle luttait désespérément, mais en vain. Chaque effort pour se mouvoir ne faisait qu'accentuer l'épuisement qui s'abattait sur elle, étouffant toute velléité de révolte contre cette immobilité forcée.

Au-dessus d'elle, les formes se mirent à se préciser, émergeant peu à peu du brouillard épais qui obscurcissait sa vision. D'abord flous et indistincts, les contours d'un visage familier se dessinèrent progressivement, comme s'ils se frayaient un chemin à travers les brumes de son esprit confus. Puis, au bout de ce long cheminement, une voix douce, tremblante, résonna à ses oreilles, une voix chargée d'une émotion qu'elle aurait pu reconnaître entre mille.

« Élise... » murmura-t-il, et chaque syllabe semblait alourdie par une tristesse infinie, une douleur contenue mais palpable, comme si le simple fait de prononcer ce nom le plongeait dans une abîme de désespoir.

Élise écarquilla les yeux, tentant de chasser la brume de son esprit, de dissiper la confusion qui régnait en elle. Le visage de son père, le docteur D'Aubigny, se dévoila enfin devant elle, net et précis, marqué par des rides profondes, témoins de décennies d'une vie vouée au service des autres, mais aujourd'hui creusées par une inquiétude qu'elle n'avait jamais vue chez lui. Ce visage, qui avait toujours été pour elle un havre de sécurité et de sagesse, était maintenant ravagé par une angoisse inédite. Le choc de le voir là, dans cet environnement clinique, froid, stérile, la frappa comme un coup de poing, balayant d'un coup les derniers vestiges de l'engourdissement qui alourdissait encore ses pensées.

« Papa...? » Sa voix, rauque, à peine plus qu'un souffle, peinait à s'élever de sa gorge asséchée. « Qu'est-ce que... où suis-je ? »

Le docteur D'Aubigny détourna légèrement le regard, comme s'il ne pouvait soutenir le poids des yeux pleins d'incompréhension de sa fille. Il prit une profonde inspiration, cherchant désespérément les mots pour expliquer l'inexplicable, pour justifier l'injustifiable, mais les phrases lui échappaient, se fracassaient contre le mur d'horreur qui montait en lui.

« Élise... » commença-t-il, la voix brisée, presque inaudible. « Je... je ne sais pas pourquoi tu es ici... On m'a seulement amené ton lit... On m'a dit que tu étais une... dissidente... et que je devais t'injecter le C.A.G. »

Élise, malgré la douleur sourde qui irradiait dans tout son corps affaibli, parvint à se redresser légèrement sur le lit. Elle sentit chaque muscle protester, chaque mouvement lui coûtant un effort immense, mais elle savait qu'elle devait se ressaisir. « Une dissidente ? » répéta-t-elle d'une voix encore tremblante, tandis que ses pensées, embrouillées par la confusion, tentaient désespérément de retrouver un fil conducteur.

Elle prit un instant pour remettre de l'ordre dans ses souvenirs, pour recoller les fragments épars des événements qui l'avaient conduite jusqu'ici. Puis, tout à coup, comme un voile qui se déchire, la mémoire des derniers jours lui revint, cruelle et impitoyable. L'arrestation chez Maxence, la peur qui l'avait saisie, les visages de ses amis emportés dans la nuit... Tout se mit en place dans son esprit, une mosaïque de terreur et de lutte. « Oh... » souffla-t-elle simplement, comme si, en cet instant, tout devenait limpide, comme si elle comprenait déjà la nature de l'abîme dans lequel elle se trouvait.

Lacuna Sensus : Les Errants SilencieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant