Chapitre 9 : Le Chant de Lilith

1 1 0
                                    


La lumière crue des néons baignait la pièce d'une clarté éclatante, presque agressive. Le carrelage blanc, d'une propreté clinique, s'étendait uniformément sur le sol et les murs, reflétant la lumière en une multitude de lueurs froides. Les rares meubles, ivoires et austères, semblaient se fondre dans cet univers immaculé, contribuant à l'atmosphère dénuée de chaleur qui régnait en maître dans la salle. Une mélancolie diffuse imprégnait l'air, alourdissant l'ambiance de cet espace où les seules touches de couleur étaient les bidons éparpillés çà et là, remplis de produits chimiques divers, le gris métallique et brillant des outils chirurgicaux, et cette porte, d'un bleu pâle, presque délavé, qui se détachait à peine du reste.

Cette porte, en contraste avec l'uniformité du décor, s'ouvrit doucement, laissant entrer un homme d'âge mûr. Vêtu d'une simple blouse blanche, il avançait d'un pas mesuré, presque mécanique, un gobelet de café fumant dans une main et un livre épais dans l'autre. La cinquantaine bien entamée, ses cheveux et sa barbe, grisonnants, portaient les marques du temps et des années passées à répéter les mêmes gestes dans cette salle sans âme. Les rides profondes qui sillonnaient son visage témoignaient d'une fatigue ancrée, une lassitude née de la monotonie implacable de sa tâche quotidienne.

Cet homme, le docteur D'Aubigny, dégageait une aura de résignation mêlée à une expertise tranquille, fruit de décennies de pratique chirurgicale. Ses yeux, autrefois vifs et perçants, étaient maintenant voilés par une mélancolie silencieuse, comme s'ils cherchaient, au-delà des murs blancs et impersonnels, une étincelle de vie ou un éclat d'humanité.

Avec une lenteur délibérée, il se dirigea vers un coin de la pièce où l'attendait un petit tabouret à roulettes, son fidèle compagnon dans cet espace figé. Il s'y laissa tomber avec une légèreté calculée, l'usure de ses mouvements contrastant avec la rigueur méthodique de ses gestes. Tout en sirotant son café, il plongea dans son livre, cherchant peut-être dans ses pages une évasion éphémère de l'univers aseptisé qui l'entourait. Le silence, à peine troublé par le frémissement des pages tournées, accentuait l'impression d'un temps suspendu, comme si la salle elle-même retenait son souffle.

Cependant, ce moment d'illusion tranquille ne dura qu'un bref instant. À peine avait-il terminé son café que la porte s'ouvrit de nouveau, sans le moindre bruit, révélant la silhouette d'une jeune femme. Vêtue elle aussi d'une blouse blanche, elle pénétra dans la salle en tirant derrière elle un grand lit surmonté d'un drap immaculé, le tout roulant sans heurt sur le carrelage. Son visage, fermé et impassible, ne laissait transparaître aucune émotion, comme si la routine avait effacé toute trace de sentiment de ses traits.

« Docteur D'Aubigny, un nouveau patient, » annonça-t-elle d'une voix monocorde, dénuée de toute urgence, comme si chaque geste, chaque mot était régulé par une mécanique intérieure bien huilée. Elle plaça le lit au centre de la pièce avec une précision presque mécanique, puis, sans attendre de réponse, fit demi-tour et quitta la salle d'un pas tranquille, laissant derrière elle le docteur seul avec son nouveau devoir.

La salle, toujours aussi figée dans sa blancheur froide, semblait avaler les bruits, ne laissant que le souffle régulier du docteur et l'écho lointain de la porte qui se refermait. Le drap blanc, tendu sur le corps inerte du patient, formait une masse anonyme, ajoutant à l'aura spectrale de la scène.

Le docteur posa son livre lentement, comme s'il cherchait à prolonger ce bref moment de quiétude avant de se replonger dans sa tâche quotidienne. Il se leva, ses mouvements imprégnés d'une fatigue que seule une longue carrière peut imposer, et se dirigea vers le lavabo. L'eau froide jaillit du robinet, il se lava les mains avec une précision méthodique, un rituel maintes fois répété, presque automatique. Il se retourna ensuite, son regard se posant sur le lit qui trônait au centre de la pièce, symbole silencieux de la routine devenue sa réalité. Celle qu'il exécutait depuis des années, sans jamais dévier.

Lacuna Sensus : Les Errants SilencieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant