Chapitre 15 : L'Œil de la Rébellion

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« Incapable ! Espèce de bon à rien, simple d'esprit ! » La voix d'Adélaïde résonnait dans son vaste bureau, tranchante comme une lame de rasoir. « Tu es vraiment le pire des crétins, Eugène ! Laisser filer Maxence ? LUI ?! Mon propre fils et ses rebuts de dissidents ?! »

Elle se leva de son fauteuil avec une vivacité qui fit trembler la tasse de thé posée sur le bureau d'acajou, ses mains se crispant sur le rebord du meuble, ses ongles s'enfonçant légèrement dans le bois verni, comme si elle s'efforçait de retenir un accès de rage plus violent encore. La lumière matinale qui baignait le bureau, filtrant à travers les grandes fenêtres, donnait à son visage anguleux des airs de statue, inébranlable et sévère. Ses lèvres se tordirent en une grimace de mépris alors qu'elle s'approchait d'Eugène, chaque pas résonnant sur le parquet ciré avec une lourdeur presque dramatique.

Eugène, les yeux baissés, n'osait croiser le regard flamboyant d'Adélaïde. Il restait debout, immobile, tel une statue de marbre, écrasé sous la fureur de la dirigeante de Valmont. Sa carrure imposante, autrefois intimidante, semblait soudain rétrécir, se ratatiner sous le poids de la colère qui déferlait sur lui. Son front était perlé de sueur, sa respiration saccadée, mais il se forçait à rester droit, raide, même si tout en lui voulait fuir cet endroit, s'échapper de cet enfer.

« Comment as-tu pu être assez idiot pour le laisser s'échapper ?! » continua-t-elle, sa voix montant en crescendo, chaque mot comme un coup de marteau. « J'avais tout prévu, tout ! Et toi... toi, tu me fais échouer au pire moment ! Bougre d'idiot ! »

Elle s'approcha encore, ses talons claquant sèchement sur le sol, résonnant comme des coups de fouet dans l'immense bureau. La tension dans l'air était palpable, suffocante. Eugène, pétrifié, pouvait sentir l'aura d'Adélaïde l'entourer, l'envelopper comme un linceul.

« Tu te rends compte des conséquences ?! Ces gamins savent des choses qu'ils n'auraient jamais dû apprendre. Maxence sait. Il va revenir, et cette fois, ce ne sera pas pour discuter ! »

Eugène ouvrit la bouche pour tenter de se défendre, mais aucun son ne sortit. La peur, cette peur si primitive, l'étreignait à la gorge comme une main invisible. Il connaissait la cruauté d'Adélaïde, son absence totale de pitié lorsqu'on la décevait. Elle n'était pas simplement une dirigeante ; elle était une reine sans couronne, une impératrice implacable dans un empire silencieux, régi par des règles impitoyables qu'elle seule pouvait dicter. Il avait vu d'autres avant lui subir des sorts bien pires qu'une simple réprimande, et l'idée de finir comme eux, brisé ou pire, réduit à une coquille vide, le paralysait.

« M-Madame... je... » bégaya-t-il, la gorge sèche, essayant de trouver quelque chose, n'importe quoi, pour apaiser cette tempête.

« Tu quoi ?! » l'interrompit-elle d'un ton cinglant, ses yeux lançant des éclairs. « Tu vas me dire que tu n'as pas eu le choix ? Que tu étais débordé ? Que tu n'arrives pas à maîtriser un gamin ?! » Elle lui tourna autour, comme une prédatrice s'amusant avec sa proie avant de porter le coup fatal. « Je t'ai confié une mission simple, Eugène. Une mission ! Et tu as failli. »

Elle s'arrêta brusquement devant lui, son visage à quelques centimètres du sien. Ses traits, d'ordinaire maîtrisés, étaient déformés par la colère, son regard brûlant comme un fer rouge, une rage à peine contenue au bord de l'explosion.

« Si tu crois que je vais te laisser t'en tirer aussi facilement, tu te trompes lourdement, » siffla-t-elle, sa voix se faisant dangereusement basse, presque un murmure, ce qui la rendait encore plus terrifiante. « Je n'ai pas besoin de gens faibles autour de moi. J'ai besoin de personnes prêtes à se salir les mains pour maintenir l'ordre dans cette ville. »

Lacuna Sensus : Les Errants SilencieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant