Chapitre 15 - Lo d'Hexe

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Iels avaient à peine réussi à dormir, ce soir-là. Lo avait insisté pour qu'iels restent à Portazur, pour manger, récupérer des vivres et du matériel pour le reste de leur périple, pour se reposer avant de reprendre la route. Se détendre était absolument impossible, désormais. Il semblait à Lo que plus jamais iels ne seraient en paix. Iels n'osaient même plus se séparer pour faire leurs besoins à l'abri d'un buisson. Chercher un brin d'intimité paraissait bien dérisoire après tout ce qu'iels avaient déjà vécu·es ensembles, de toute façon.

Del leur avait raconté ce qu'il s'était passé sous l'eau dans les moindres détails. Autant qu'il en soit capable, du moins. Lo avait tenté de recoller les morceaux, mais le tableau complet lui échappait toujours. Les paroles du spectre, bien que nouvelles, étaient bien trop vagues.

Il ne m'a pas laissé le choix, tu sais.

Qui parlait ?

De qui ?

Et de quoi, surtout ?

Qu'avait été forcé de faire ce spectre ?

Et puis, il ne fallait pas oublier que rien ne garantissait que le fantôme parlait de quelque chose de réel, de concret... Sans compter que les sens de Del l'avait peut-être trompé.

La seule chose qu'iels avaient vraiment gagné de la rencontre, comme des précédentes, étaient une raison supplémentaire de sursauter au moindre bruit suspect, de se tendre à chaque ombre qui grandissait, de froncer les narines dès qu'une odeur suspecte flottait dans l'air.

Lo avait presque hâte d'entrer dans les forêts du Nord, maintenant : au moins, si les choses empiraient, iel ne serait pas surpris·e. Dans sa jeunesse, les forêts du Nord avait toujours eu la renommée d'être l'endroit le plus dangereux des mondes connus. Même si les Maegis corrompus en étaient partis, la réputation n'avait pas vraiment changée depuis, puisque plus personne ne pouvait y vivre, hormis la Reine et sa protectrice.

Rejoindre la frontière ne leur prit qu'une heure à peine. Une heure pendant laquelle iels restèrent silencieuxse, tendu·es, terrorisé·es. Lo réussit à garder un calme relatif, en se concentrant sur les choses concrètes qui les entouraient : les arbres, solides et bien enracinés ; le sol couvert d'humus, frais et nourricier ; le vent dans les feuilles, les insectes entre les herbes et entre les branches ; les oiseaux au-dessus de leur tête et cachés dans les buissons ; les pas nerveux de ses compagnon·nes, le battement régulier de la queue d'Ode et le frémissement des oreilles pointues de Del. Toutes ces choses, et d'autres encore, l'aidèrent quelques temps à garder le contrôle de ses émotions.

Jusqu'à ce que, au détour du sentier, les premiers arbrisseaux de la frontière n'apparaissent sous ses yeux.

Ses sabots se figèrent dans le sol. Iel n'arrivait plus à les soulever pour faire un pas de plus.
Del et Ode eurent tout juste le temps de faire un pas avant de s'arrêter à leur tour, aussitôt alerté·es de son blocage. Leurs six yeux se tournèrent vers iel, inquiets, mais Lo gardait les siens rivés sur la démarcation naturelle entre la forêt d'Hexe et les forêts du Nord.

Ce n'était pas la première fois que Lo revenait ici, bien sûr. Mais à chaque fois, l'angoisse était là, même après toutes ces années. A chaque fois, ça remontait. Tout ce qu'iel avait vécu là-bas, les Maegis, le grand départ, le grand vide ensuite. Puis il y avait eu toutes les fois où iel était revenu, alors que plus personne n'habitait là, ni ses ancien·nes tortionnaires, ni ses ancien·nes camarades d'infortune. La forêt, désertée excepté pour la Reine et pour sa gardienne, n'avait jamais vraiment perdu de son aura terrible. Lo était revenu·e, encore et encore, malgré la peur, parce que la Reine était là-bas , parce que la Chevaleresse Lylia était là-bas, elle qui avait fait d'iel lea Chevalieresse qu'iel était aujourd'hui, bien plus que l'école de Chevalerie et ses mentors méprisants.

Une Promesse de Nuit et d'Ecailles : L'apprenti ChevalierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant