Chapitre 14 - Il ne m'a pas laissé le choix, tu sais

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Lo d'Hexe

Lo ne se souvenait plus de la dernière fois que ses sabots avaient reçu un vernissage digne de ce nom. Pas à la Botte, en tout cas : personne ne savait fabriquer de vernis protecteur d'une qualité suffisante pour éviter à la corne de se fendre. Heureusement que les sabots repoussaient avec le temps, sinon iel n'aurait tout simplement plus de pieds, à force. A Portazur, en revanche, iels savaient parfaitement ce qu'iels faisaient : avec l'humidité ambiante, les personnes à pieds cornés ne risquaient pas seulement des blessures liées à l'usure, mais de contracter un nombre non négligeable de maladies causées par la pourriture des sabots. Iel inviterait Ode à l'imiter, une fois les siens terminés.

Pour le moment, cependant, Lo se contentait de profiter de la conversation de ses pairs, légère et agréable, et d'oublier momentanément sa quête et leurs tourments.

Jusqu'au cri.

Iel sentit plus qu'iel ne reconnut que le cri appartenait à Del. Lo tourna brusquement la tête vers la rivière, vit le garçon disparaître sous l'eau et entendit son cri s'étouffer.

Sans hésiter, Lo quitta son tabouret, se précipita en avant - rencontra une résistance, des mains sur ses bras et autour de son ventre, sur ses épaules et accrochées à ses poignets, des centaines, des milliers de mains qui l'empêchaient de faire un pas de plus en avant.

— Lo !

Ce cri-là, c'était Ode. Terrifiée. Elle aussi avait besoin de son aide. Iel chercha à se dégager des mains qui le retenaient, les mains des faunes autour d'iel, au regard vide et à la force surnaturelle, plus tout à fait elleux même.

Lo sentit sa propre force se perdre lorsque l'odeur percuta ses narines, brouillant sa vue et mélangeant ses pensées.

Une odeur de mort, oui - mais une odeur de vie, aussi.

Celles des milliers de champignons, de plantes minuscules, de créatures invisibles, qui dévoraient et nettoyaient et remplaçaient, impitoyablement, pour ne plus rien laisser de ce qui avait disparu.

L'odeur insupportable du néant qui s'arroge une place.

L'odeur de celui qui, déraciné, pourrissait lentement, vidé de l'intérieur.

Va-t-en !

Lo lutta contre ses sens. Il n'avait pas le temps pour ça. Pour ses questionnements, pour ses doutes, pour ses peurs. Iel devait agir, et vite. Mais qui aider en premier ? Del ou Ode ? Ou alors les inconnu·es possédé·es, qu'iel devait libérer de leur sort ?

Déraciné·e.

Avant de pouvoir faire quoi que ce soit, iel devait réussir à se défaire des mains qui lea retenaient, plus nombreuses que de raison. Les faunes autour d'iel lea retenaient, répétant de leurs lèvres closes la même rengaine paradoxale. Va-t'en. Va-t'en. Va-t'en.

Déraciné·e.
Tu pourris les racines
.

Les racines : c'était cela, sa porte de sortie. Avec un cri de douleur, Lo projeta sa magie vers ses sabots, tira dans la forêt pour appeler à l'aide. Aussitôt, des tiges s'extirpèrent du sol et entraînèrent les autres faunes à terre, laissant à Lo assez d'espace pour prendre la fuite, droit où iel avait entendu Ode l'appeler. Son corps avait compris l'évidence plus vite que son esprit - Del pouvait s'en sortir seul. C'était un apprenti Chevalier, après tout. Mais Ode, elle, n'avait aucun moyen de se défendre.

Alors Lo courut. Iel courut, et espéra ne pas s'être trompé.


***

Une Promesse de Nuit et d'Ecailles : L'apprenti ChevalierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant