Lo chercha d'abord la forêt. On ne se défait pas de ses réflexes si facilement.
C'était elle qui l'avait toujours aidé·e à rester stable, à trouver sa place. Alors iel se tendit vers elle, cette fois-ci encore, pour chercher comment faire pousser le sortilège qu'iels construisaient. Avec Del, la connexion se fit facilement. Iels avaient toustes les deux suivi les mêmes leçons à l'école de Chevalerie pour ce genre d'exercice et utilisaient le même langage magique, silencieux mais malgré tout presque tangible. Avec Ode, ce n'était pas si simple. La petite fille hésita, presque craintive. Même lors de leur deuxième essai, elle ne savait toujours pas vraiment ce qu'elle faisait. Peu importe. Lo prenait son temps, se posait avec elle pour suivre son rythme. Ce n'était qu'un petit sortilège pour expérimenter, après tout. Un sortilège sans aucune conséquence.
Juste une petite lumière, rien de plus.
Elle ne resta pas petite. Le sortilège non plus. Quelque chose grandit dans le lien qu'iels avaient créé, s'y immisça par les racines, alourdit leur sève. Lo n'eut pas le temps de réagir. Iel se laissa engourdir, s'ancra dedans. Iel sentit la panique d'Ode grandir, la concentration de Del flétrir. Le garçon lui lança un bref et dernier regard inquiet, juste avant que -
Le choc écrasa Lo dans la terre, tira ses racines dans les profondeurs. Ode prit la fuite, Del se leva brusquement, courut après elle en criant son nom, sans un regard en arrière pour Lo. Iel lutta, poussa sur ses bras pour les rejoindre. Plus iel se battait, plus iel devenait lourd·e, impossiblement attaché·e à la terre sur laquelle iel s'était assis·e. Comme si iel avait retrouvé ses racines avec la forêt, mais dans leur version la plus terrible. Une connexion seulement physique, qui l'avait transformé·e en prisonnier·e. Car iel avait beau chercher dans sa magie, iel se sentait toujours aussi étranger à la forêt, même en cet instant où elle l'avait réclamée. Iel ne ressentait rien. Ni le chemin, ni ce qui devait se trouver au bout.
Rien, si ce n'était la douleur de milliers de filaments qui se glissaient autour de ses veines et étouffait chaque parcelle de son corps, méthodiquement.
La première odeur se glissa dans ses narines comme des racines dans un mur de pierre, poussant et écartant, s'infiltrant dans les moindres cassures.
Un parfum putride de chair en décomposition. Le métal froid du sang. L'amer poudreux des os tournés en poussière.
L'odeur de la mort.
— Tu as déjà tout perdu. Pourquoi t'accrocher à quelque chose que tu peux perdre à nouveau ?
Ses poumons se contractèrent violemment. Ses doigts arrachèrent la mousse sous ses mains lorsqu'une violente quinte de toux lea brisa en deux. Elle ne prit fin que lorsqu'iel recracha son petit-déjeuner à peine digéré, brûlant sa gorge et laissant un goût atroce sur sa langue et une nouvelle odeur, bien trop réelle, dans ses narines.
En sueur, Lo tenta de nouveau de bouger. Cette fois-ci, iel réussit, alors iel s'empressa de se remettre sur ses sabots pour s'éloigner de la flaque acide. Del. Ode. Iel devait... Lo cligna des yeux, plusieurs fois. Chercha son équilibre, une main posée sur un tronc à l'écorche humide.
La forêt avait changé. Elle était plus jeune. Moins hostile. L'arbre sur lequel iel s'appuyait n'avait pas été là un instant plus tôt, et ceux qui avaient entouré leurs campements avaient disparu, remplacés par des buissons épineux aux baies et fleurs abondantes. Lo n'avait qu'un pas pour se trouver sur un chemin sableux, tracé par des pas ordinaires et non par une Reine qui lea guiderait au bon endroit. Le genre de chemin qu'iel trouverai à Hexe plutôt que dans les forêts du Nord.
Pourtant, Lo n'avait aucun doute : iel se trouvait toujours exactement au même endroit.
Longtemps, bien longtemps auparavant.
A sa droite, sur le chemin, Lo vit apparaître les silhouettes de trois faunes. Iels parlaient de tout et de rien, heureuxse et en bonne santé, sans aucune trace de la fatigue et de la peur qui s'était installée depuis des générations dans les os des faunes d'Hexe. Leurs regards glissèrent sur Lo sans lea voir, mais l'une d'elleux fronça les narines.
— Ouh, on dirait que Acha a encore abusé des champignons hier soir ! ricana-t-iel.
— Beurk, il serait temps qu'il fasse attention, ça commence à devenir répétitif, soupira un·e autre.
Lae troisième glissa une remarque que Lo n'entendit pas et les trois fantômes éclatèrent de rire alors qu'iels s'éloignaient, poursuivant leur route sur le chemin sableux. Lo garda les yeux rivés dans leur direction un long moment, une douleur dans le coeur qu'iel n'arrivait pas à vraiment s'expliquer. Puis iel se força à détourner le regard, et reporta son attention sur l'endroit où iel avait vidé son estomac. Qu'iels ne l'aient pas vu·e mais qu'iels aient senti ça méritait une enquête, même s'iel doutait trouver une quelconque réponse.
Ses yeux se figèrent immédiatement sur le tronc sur lequel iel s'était appuyé, enregistrant brièvement le fait qu'il n'y avait plus aucune trace de vomi sur le sol.
Le tronc pourrissait.
Noir sur l'écorce brune aux beaux reflets bleus. Fumée grise entre les feuilles pourpres. Une odeur d'intestins malades par-dessus le parfum sucré des fruits violets.
Et, juste là où Lo s'était appuyé·e quelques instants plus tôt, la marque de ses doigts, brûlure incandescente, pourriture magique et incurable.
— Tu pourris les racines.
Lo sursauta.
— Tu pourris l'air.
Iel se retourna, chercha la source de la voix.
— Tu pourris l'eau à la source.
Impossible de déterminer une direction. Impossible de deviner qui en était lae propriétaire, non plus.
— Je te l'ai dit.
Alors, pourquoi cette voix lui semblait encore si familière ?
— Mais tu n'as rien écouté.
Pourquoi avait-iel l'impression que cette voix avait vécu quelque part dans son coeur ?
— Déraciné·e.
— Qui... ?
— VA-T-EN ! coupa la voix.
Lo fut brusquement rejeté·e en arrière. Le souffle court, iel chercha son équilibre, planta ses bras en avant, les doigts dans une substance spongieuse et nauséabonde. Lorsqu'iel reprit conscience, iel était assis exactement au même endroit qu'avant, comme si iel n'avait pas bougé du tout pendant l'hallucination. Tremblant des sabots aux cornes, iel essuya ses doigts sur la mousse, puis se releva fébrilement, recula jusqu'à ce que son dos cogne le tronc d'un arbre, puis s'en éloigna aussitôt.
Et si... ?
Pas de marque là où son corps avait prit contact avec l'écorce. C'était seulement dans sa tête.
Seulement dans sa tête.
— Ode. Del, murmura-t-iel.
Comment les retrouver ? Iel n'était même plus certain·e de la direction dans laquelle les deux enfants étaient partis. Iel était seul·e. Incapable de les aider, alors qu'iels risquaient de se perdre dans la forêt. Comme si je savais où j'étais.
Iel sentit quelque chose lui brûler la joue. Leva sa main, essuya une larme solitaire.
Comme si je savais ce que je faisais.
Ses tremblements s'accentuèrent. Brusquement, son genou blessé céda sous son poids. Une autre larme coula à la suite de la première. Lo serra les paupières, laissa le sanglot s'échapper par ses lèvres. Ses bras, derniers remparts entre son corps et la terre, se plièrent à leur tour.
Visage tourné vers la mousse, Lo fondit en larmes. Ne lui laissait plus qu'une seule chose à faire, en réalité : laisser la forêt lea reprendre.
Car iel savait, avait toujours su, ce qui arrivait aux choses déracinées. Sans racines, elles mourraient. Et la forêt les reprenait, lentement, sûrement, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien.
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Une Promesse de Nuit et d'Ecailles : L'apprenti Chevalier
FantasyDel a toujours rêvé d'être Chevalier : sa santé fragile et le mépris de ses pairs ne lui permettent même pas de décrocher un poste de Page. Déterminé à prouver sa valeur - et à se venger - le jeune garçon vole l'épée d'un Chevalier pour secourir des...