Del se frotta les yeux plusieurs fois, réprima un bâillement, grimaça lorsqu'un de ses genoux craqua un peu trop bruyamment.
La nuit était tombée plusieurs heures avant son départ. Del était resté à la fenêtre de sa chambre, à regarder au loin les lueurs du jour retourner vers la terre, dans les corolles ouvertes de fleurs qu'il ne pouvait voir. Il ne faisait jamais sombre, dans la ville de la Botte. Les lampadaires à feux éternels et les lampes à lucioles prenaient le relais dès qu'on n'y voyait plus assez bien pour lire ou pour marcher dehors sans mettre le pied sur une bouse d'éranfère. Le tintamarre qui animait les rues diminuait à peine, la circulation diurne et le chaos des ateliers remplacés par une autre circulation, nocturne, et un autre chaos, celui des bars, des auberges et des frit-pots. Del savait donc qu'il n'aurait aucun mal à repérer sa route, et que sa silhouette frêle ne se découperait pas, solitaire, à la vue d'un insomniaque prêt à témoigner de ses crimes. Non, Del ne risquait pas grand chose à sortir de nuit. Il le savait et il y comptait bien.
Le seul problème, c'était la fatigue. Il avait bien essayé de dormir un peu de jour, pour compenser, mais l'angoisse de l'anticipation et le manque d'habitude l'avaient empêchés de fermer l'oeil. A la place, il avait passé des heures à revérifier les plans qu'il avait griffonné lui-même et qu'il connaissait par coeur. Il avait inspecté minutieusement son matériel au moins une bonne centaine de fois, et pouvait réciter la liste sans même y penser, comme une chanson coincée dans son cerveau ramolli par les potions et les onguents.
Un crochet ensorcelé. Un petit explosif, acheté au marché à un nain peu scrupuleux. Un tournevis. Une dague. Un paquet de biscuits.
Le dernier était particulièrement important, pour son plan.
— Allez, Del, murmura-t-il. C'est l'heure.
Malgré la fatigue, il jeta son sac sur ses épaules, puis sortit à pas silencieux de sa chambre. Il passa devant celle de ses parents, tendit l'oreille, sourit lorsqu'il entendit deux ronflements distincts et asynchrones. La voie était libre ! Il descendit les escaliers, en prenant bien son temps pour ne pas tomber - ne manquerait plus que ça ! - puis ouvrit et referma la porte d'entrée sans un bruit. Maintenant qu'il était dans la rue, il pouvait se permettre d'être un peu plus relâché. Se déplacer avec discrétion aurait eu l'air extrêmement suspicieux, et il n'était pas franchement d'humeur à finir encore une fois au poste de contrôle pour le seul motif d'être un ado morrin avec l'air prêt à faire une bêtise. En plus d'être particulièrement insultant, ce n'était pas reposant du tout.
Sa destination, il la connaissait par coeur. Il avait fait le chemin de nombreuses fois, ces quatre dernières années, et aurait dû continuer à le refaire pendant encore deux ans de la même façon, s'il n'y avait pas eu l'accident. L'accident. C'était le terme que tout le monde utilisait, mais ça n'était pas cela. C'était tellement plus...
Pas le moment de penser à ça maintenant, oh non ! Del devait rester concentré. Il sortit du quartier des Lingots, siège des syndicats et des banques, traversa le quartier de la Halle, avec ses échoppes toujours ouvertes même au beau milieu de la nuit - au cas où quelqu'un aurait besoin d'une casserole ou d'un slip neuf en urgence, qui sait - puis sortit de la ville par la ruelle des Pages, direction l'école de Chevalerie.
Il devait être le plus discret possible, désormais. Sa cape bleu nuit dissimulait sa peau blanche et ses cheveux laiteux, l'empêchant de luire telle une luciole au milieu d'un bois, mais il devait encore masquer sa magie. Un petit sortilège ferait l'affaire : même si un vrai Chevalier ou Chevaleresse attentif ne se laisserait jamais berner, Del savait parfaitement qu'iels laissaient les jeunes faire le sale boulot. Les apprentis piquaient un roupillon bien plus souvent qu'iels ne voulaient l'admettre : Del dormait à chaque fois que c'était son tour de garde, quand il était encore élève à l'école de Chevalerie, il n'y avait pas si longtemps que ça. Ou plutôt, il dormait quand il n'avait pas trop mal.
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Une Promesse de Nuit et d'Ecailles : L'apprenti Chevalier
FantasíaDel a toujours rêvé d'être Chevalier : sa santé fragile et le mépris de ses pairs ne lui permettent même pas de décrocher un poste de Page. Déterminé à prouver sa valeur - et à se venger - le jeune garçon vole l'épée d'un Chevalier pour secourir des...