Comme beaucoup de Maegis, Del n'avait jamais été à l'aise avec le concept même de cadavre.
Pour être honnête, il se doutait bien que personne n'avait envie de se retrouver nez à nez avec un corps mort, mais pour les Maegis, rien que l'idée que les cadavres existent était dérangeante. A leur mort, les Maegis ne laissait rien : iels se désintégraient intégralement en quelques secondes, le record ayant été enregistré à une heure et trois minutes, pour un Maegis corrompu capturé dans les Tours gardiennes des Marais Perdus. L'anecdote était tellement étrange qu'elle avait vite couru partout, jusque sur les bancs de l'école de Chevalerie. Rien ne garantissait qu'elle soit vraie, en plus. L'information importante, cependant, restait la même : la mort d'un Maegis, c'était à la fois la disparation de son esprit et de son corps. La seule chose qui restait, c'était les souvenirs des vivants.
— Il faut l'enterrer, constata Lo.
Del frissonna. Iels étaient resté·es quelques instants face au squelette, sans rien dire, sans même vraiment oser bouger. Lea Chevalieresse s'approcha doucement, posa un genou à terre, commença à dégager avec soin les os pour les rassembler. Ode se tourna vers Del, incertaine, et il haussa les épaules, tout aussi perdu qu'elle.
— Tu veux qu'on, euh... creuse un trou ?
— Oui. En bas de la pente, à un endroit où le sol ne s'érodera pas comme ici.
— Bien, chef·fe !
Del se détourna avec soulagement de Lo et de la morte, suivi par Ode. A elleux deux, iels réussirent à creuser un trou avec un sortilège et l'épée émoussée. Lorsque Del se laissa tomber à côté, épuisé, Lo avait aussi terminé sa tâche : rassemblés dans un linceul de tiges et de feuilles enchantés, les os de la faune glissèrent jusqu'à leur nouvelle sépulture, dirigés par la magie de lea faune. Le trou n'aurait même pas été assez grand pour y allonger Ode ou Del, mais ce dernier aurait pu s'y recroqueviller pour une sieste. Lo s'assit tout au bord, déposa les os les uns après les autres. Lorsqu'iel arriva au crâne, le dernier encore dans le linceul, Lo l'attrapa entre ses deux paumes, comme s'iel tenait la morte par les joues pour la regarder une dernière fois. Iel ferma les yeux, posa doucement son front contre le front blanc, puis murmura :
— Puisse quelqu'un se souvenir de ton nom.
Avec délicatesse, iel déposa le crâne avec le reste des ossements. En silence, les trois compagnon·nes remirent la terre déplacée dans le trou, recouvrant de façon plus pérenne le squelette de la faune fugitive. Alors qu'iels se redressaient, la tâche accomplie, et qu'iels reprenaient lentement leur route, main dans la main, Del remarqua quelque chose d'étrange : Lo avait parlé à la morte en aradhien. Une langue qu'iels comprenaient toustes les trois, mais pas nécessairement celle qu'elle avait parlée de son vivant. Comme si Lo ne s'était pas adressée à elle, en cet instant, mais plutôt à toustes celleux qui pourraient vraiment se souvenir d'elle.
Elleux trois.
Del trembla, sentit son estomac se contracter avec douleur, une brûlure vive et cruelle. S'il n'était pas tombé tout à l'heure, si la forêt ne leur avait pas montré la marche silencieuse des esclaves et la fuite de la faune, cette dernière aurait été oubliée pour toujours.
Combien, comme elle, avait disparut corps et mémoire dans cette forêt ?
***
— C'était différent, cette fois-ci.
La petite voix pensive d'Ode brisa le silence qui s'était installé entre elleux, assez fort pour que Del sursaute. Vu l'ambiance, il n'avait même pas honte. La forêt était devenue franchement glauque, depuis sa chute, et pas seulement parce qu'il s'attendait à retomber sur un squelette à chaque seconde.
VOUS LISEZ
Une Promesse de Nuit et d'Ecailles : L'apprenti Chevalier
FantasyDel a toujours rêvé d'être Chevalier : sa santé fragile et le mépris de ses pairs ne lui permettent même pas de décrocher un poste de Page. Déterminé à prouver sa valeur - et à se venger - le jeune garçon vole l'épée d'un Chevalier pour secourir des...