Il existe mille façons de briser une âme.
La souffrance.
La trahison.
Le mensonge.
La torture.
La perte d'un être cher.
J'ignore s'il existe une manière de réparer ce genre de dégâts.
Le temps ? Le temps nous habitue à vivre au milieu des débris tranchants de nos traumatismes.
L'amour ? Rares sont ceux qui le trouvent réellement. Rares sont les fois où il dure.
Le pardon ? Il arrive souvent bien trop tard.
Un vase brisé ne peut pas être réparé. Même en essayant, il ne ressemblera plus jamais à ce qu'il était avant. C'est la même chose pour nous. Ce que nous avons vécu nous a changé à jamais.
C'est la raison pour laquelle c'est un tourbillon d'émotions mélangées qui accueille les deux barques accostant tout juste sur la plage. L'excitation prévaut sur les autres, mais parmi cette tempête d'enthousiasme se cachent quelques âmes dont l'humeur n'a rien de festive.
Je n'arrive pas à cacher mon appréhension, Rose n'arrive pas à cacher son désespoir ni Tommy sa haine. Insignifiants au milieu de nos quarante camarades qui trépignent d'impatience en regardant s'approcher nos sauveurs, nous sommes pourtant bien là, incapables d'en faire autant. L'inquiétude face à l'avenir est trop puissante pour que nous puissions nous réjouir comme les autres. Heureusement, personne n'y fait attention. Nous ne gâchons que notre propre humeur.
J'examine minutieusement les nouveaux arrivants. La première barque laisse accoster un homme âgé aux cheveux grisonnants, longs jusqu'aux épaules et à la barbe fournie. Son visage bronzé est marqué par les rides, mais dans ses yeux luit un éclat d'énergie qui se retrouve jusque dans son sourire franc et sa manière de bouger. J'entends son rire grave malgré mon éloignement, par dessus les vagues. Mehdi s'approche de lui, les bras grands ouverts et le visage radieux. Les deux hommes se prennent dans les bras affectueusement, et le vieil homme le salue d'une voix enjouée :
- Mehdi ! Comme tu as grandi !
- Et toi tu as vieilli. Ça fait plaisir de te voir, Kabir ! Merci d'être venu.
Pendant leur accolade, la deuxième barque glisse sur le sable blanc de la plage. Une jeune fille se hâte d'en sortir avant de courir en direction de Mehdi, ses jambes fines dansant habilement entre le tissu fin et coloré de sa longue jupe. De justesse, notre ami repousse le dénommé Kabir pour la rattraper au moment où elle se jette dans ses bras. Bien que déséquilibré par l'impact, il n'a aucun mal à la soulever du sol pour lui rendre son étreinte. J'entends son soulagement d'ici :
- Amina ! Qu'est-ce que tu m'as manqué !
- Toi aussi tu m'as manqué, idiot ! Tu aurais pu donner des nouvelles !
Malgré ses remontrances, la jeune fille n'a d'yeux que pour Mehdi, qu'elle examine avec des étoiles dans les yeux. J'en déduis très facilement qu'ils se connaissent depuis très longtemps. Élancée, son visage lisse et doux n'est que reflet d'innocence. Cette Amina est rayonnante et très loin d'avoir vécu les même choses que nous. L'air marin ne semble avoir aucun effet sur sa belle chevelure ondulée qui lui arrive au milieu du dos. La vie sur l'eau ne l'empêche pas de prendre soin d'elle, c'est évident.
Jules s'approche à son tour pour saluer les deux marins avec aisance. Bien que moins démonstratif, son sourire prouve à quel point il est content de retrouver ces anciennes connaissances.
Ces retrouvailles chaleureuses auraient pu suffire à lever mes incertitudes, mais ce n'est pas le cas et d'un regard vers Tommy je comprends qu'il ne se laisse pas amadouer non plus. Les sourcils froncés, les poings crispés sur la lanière de son sac, sa mâchoire se contracte à intervalles réguliers. Les présentations ne vont pas être de tout repos.
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See No Evil [TOME 2]
ActionRien ne sera plus jamais comme avant. Les certitudes sont tombées, les cauchemars sont nés. Et pourtant, l'heure n'est toujours pas au repos. La mission de Lise est loin d'être terminée. Ses amis ont besoin d'elle autant qu'elle a besoin d'eux : il...