Chapitre 3

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La nuit est tombée dehors. Quelques lanternes éclairent encore le pont, mais je n'en aurais pas eu besoin pour retrouver Tommy. Comme je le craignais, la voix de Kabir s'élève au dessus des vagues et me guide jusqu'à eux. Ils sont à l'avant du bateau, si proches du bord qu'un seul geste suffirait à faire tomber l'un ou l'autre à l'eau :

- Jeune homme, je pense que nous avons besoin d'une bonne discussion.

- Ah oui ? Pas moi.

Si le ton qu'il a employé avait une couleur, il serait aussi noir que le ciel actuellement.

Je me cache pour réfléchir. Dois-je intervenir ? Je ne pense pas que Kabir ait besoin de mon aide pour négocier avec Tommy, mais Tommy aura peut-être besoin de la mienne pour se retenir de faire une bêtise. Malgré tout, je décide de lui laisser une chance et reste dans l'ombre. Je dois les laisser régler leurs comptes, mais je me promets d'intervenir s'ils haussent le ton, avant de voir disparaître un de leur corps dans l'eau sombre et dangereuse sur laquelle nous voguons. Pour l'heure, Kabir paraît encore très calme :

- Je ne te laisse pas le choix. Vous êtes sur mon navire, j'estime avoir le droit de connaître mes passagers.

- Je peux savoir pourquoi vous y tenez autant ? Contentez-vous de nous emmener sur cette putain d'île en Somalie et de nous oublier ensuite. Ça fera l'affaire de tout le monde.

- Ça pourrait être aussi simple si tu faisais preuve de respect. Ne touche pas à mon équipage, jeune homme. Ne manque pas de respect aux gens de ce bateau. Surtout pas à ma fille.

- Et bien faites passer le mot : qu'ils ne m'approchent pas.

Tommy... Pitié fais un effort...

C'est maintenant que tout se joue et il fait encore le soldat borné. Il est irrécupérable. Et Kabir a ses limites aussi. De mon point de vue, je le vois se rapprocher de Tommy. Ce dernier recule. Tommy recule ? Je ne comprends pourquoi que lorsqu'il grogne, menaçant :

- Ne m'approchez pas.

Et mon cœur se serre à cette phrase.

Oui, il fait l'idiot, il fait le dur, celui qui n'en a rien à faire. En réalité, il est juste terrorisé. Sa peur du camp ennemi est telle que même un simple équipage innocent comme celui qui est venu nous chercher le terrifie. Et ça, Kabir ne le sait pas. Le capitaine continue d'insister, de se rapprocher, sans comprendre qu'en face de lui, ce n'est plus Tommy, mais une bête sauvage blessée et apeurée, prête à tout pour se défendre :

- Jeune homme, il va falloir me montrer que tu mérites d'être à bord de ce bateau. Je n'y embarque pas d'inconnu. Commence par te présenter, nous pourrons parler ensuite.

- Je. Ne. Me. Présenterai. Pas. Laissez-moi juste tranquille.

À travers sa menace, j'entends sa supplication. Je suis bien la seule.

Kabir continue de le presser, aucunement intimidé, aucunement apitoyé. C'en est trop pour Tommy, qui dégaine d'un geste sec son pistolet pour le pointer sur le capitaine. Je porte les deux mains à ma bouche pour retenir un cri d'effroi. Il l'avait sur lui ?

Non, non, non... Tu ne peux pas faire ça, Tommy...

Il répète son ordre d'une voix sinistre :

- Ne m'approchez pas.

Kabir s'est arrêté. Il ne lève pas les mains en l'air. Il n'a pas peur, car il ne sous-estime pas le soldat en face de lui. Il sait très bien que Tommy ne peut pas tirer, que la vie de nos quarante camarades repose sur ce geste. Et moi, qui connais Tommy, je fais l'erreur de le sous-estimer en me ruant sur lui et en m'interposant entre l'arme et le capitaine. Il ne cache pas sa surprise mais recompose très vite son expression menaçante, sans cesser de viser au dessus de moi :

See No Evil [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant