Chapitre 10

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J'ai toujours plusieurs mètres d'avance sur Tommy lorsque la maison apparaît entre les arbres. J'ai cavalé tout le temps du retour, trop fière pour oser me retourner et affronter son regard moqueur. Les autres nous attendent sur le porche, et je soupire de soulagement en les rejoignant. Au moins je ne suis plus en tête à tête avec Tommy, et toute tentative de sa part pour se moquer de moi est avortée grâce au groupe. Aurore me prend dans ses bras, soulagée de nous voir revenir en un seul morceau, et alors que le soldat arrive à notre hauteur, Rose s'inquiète :

- Que s'est-il passé ? C'était quoi ce coup de feu ?

Les mains dans les poches de sa veste, Tommy explique, désinvolte :

- C'était moi. Il y a une clairière un peu plus loin, j'y ai installé de quoi s'entraîner au tir et j'ai voulu tester le terrain. J'aurais peut-être dû vous prévenir...

Il jette un regard vers moi, et j'ai tout juste le temps d'y imaginer un éclat railleur avant de détourner les yeux en cachant une grimace. Ses explications rassurent tout le groupe, et Jules conclut :

- Et ben, tu nous as fait une sacré frayeur ! Surtout à Lise !

Son commentaire ravive ma honte, mais je n'ai pas le temps de m'attarder dessus car il accompagne sa parole d'une tape amicale sur l'épaule du concerné. J'écarquille les yeux.

Jules Riven, heure du décès n°2 : 9h05.

Comment ne peut-il pas se rendre compte qu'il y a des choses à ne pas faire ou dire avec Tommy s'il veut détendre l'atmosphère ?

Cette fois-ci, le geste a dépassé la parole et la limite de l'acceptable a été franchie pour le soldat. En une fraction de seconde il dégaine l'arme qui ne le quitte jamais et la pointe droit sur le front de Jules, bras tendu, en menaçant entre ses dents serrées :

- Ne repose plus jamais les mains sur moi.

Il n'a pas crié, et ça le rend encore plus terrifiant, comme une bombe à retardement prête à exploser à tout instant.

Arthur était le seul à pouvoir s'approcher de Tommy sans déclencher un accès de colère. Depuis la récente trahison du programme, le soldat n'accorde plus sa confiance à personne. Son passé est revenu se mêler au présent et les trahisons successives l'ont isolé, corps et esprit, de tout son entourage. Personne n'accède à son corps sensible, son point faible. Personne à part... moi.

Je me suis déjà retrouvée plusieurs fois dans ses bras, sans qu'il ne m'en repousse. Plus encore, c'est lui qui a souvent cherché le contact avec moi. Je sais qu'il me fait confiance, que mon absence de filtre est un atout dans la relation de confiance que nous avons instaurée, mais de là à me permettre l'accès à son corps... Je secoue la tête. C'est juste un idiot qui n'en fait qu'à sa tête.

Preuve en est, depuis que c'est lui qui est aux commandes de notre groupe, depuis qu'il a abattu More, la seule personne qui lui dictait quoi faire, Tommy est devenu encore plus colérique et sensible qu'avant, victime de ses émotions sans réussir à les contenir, libre d'agir aussi impétueusement qu'il le souhaite. Nous en faisons tous les frais, alors qu'il est là, crispé, la mâchoire contractée, à menacer Jules pour une simple tape sur l'épaule. Ce dernier ne peut rien faire d'autre que de lever les mains en l'air en guise d'apaisement, tout en soufflant des excuses comme s'il parlait à une bête sauvage :

- Ok... ok. Pardon, Tommy. Excuse-moi.

À bout de nerf de ma précédente frayeur, je m'impatiente, indifférente à la menace fantôme de Tommy. Son humeur aura beau être au plus bas, il ne fera pas l'erreur d'abattre Jules pour un simple geste déplacé :

See No Evil [TOME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant