See No Evil [TOME 2]

Chapitre 14

Je n'arrive à stopper le flot de larmes sur mon visage qu'après avoir roulé pendant de longues minutes dans la remorque de ce fichu camion. Ce n'est pas pour autant que mon âme s'arrête de pleurer. Je n'ai juste plus de larmes. Je suis éteinte. Mon esprit est resté dans la base, en compagnie de Tommy. Que lui arrive-t-il en ce moment même ? A-t-il finalement été exécuté ? Franz n'a plus besoin de son ADN, il lui est désormais inutile. La docteure sait à quel point le soldat peut se révéler dangereux, elle ne fera pas l'erreur de le laisser en vie... Dans ma tête se mélangent mes souvenirs et ce qui vient de se passer. Le visage de Tommy apparaît désormais aux côtés de Sean, comme un fantôme venu me reprocher de l'avoir abandonné lui aussi.

La douce pression d'Aurore sur mon bras me ramène à la réalité et je plonge mon regard dans ses yeux clairs et inquiets. La mission n'est pas terminée, je ne peux pas m'effondrer maintenant. Enfin... mon corps doit encore tenir un moment. Mon âme, elle, est déjà perdue.

Notre moyen de transport trace à vive allure sur le chemin, sans jamais ralentir, mais l'heure de descendre a sonné, peu importe la vitesse à laquelle nous roulons. Les autres commencent à se jeter par dessus la remorque, et Aurore m'entraîne avec elle sans me lâcher. Sans son soutien, mes jambes flageolantes ne m'auraient jamais permis de quitter ce camion. Je prends une grande inspiration et m'élance.

Je ne peux retenir un grondement sourd lors de la violente réception qui me fait rouler plusieurs mètres plus loin alors que je sens déjà de nombreux points douloureux éclore partout sur mon corps. Je vais m'en sortir avec plusieurs hématomes.

Aurore me récupère, toujours soucieuse pour moi, et elle me tire presque comme un pantin à l'abri des bois. Les autres nous y attendaient pour s'élancer à travers les arbres en direction de notre camion gardé par Amina. Et si elle aussi était partie ? Je refuse de le croire. Elle n'aurait pas abandonné Mehdi. Et effectivement, sa silhouette se détache au clair de lune, gracieuse, prête à se mettre en mouvement dès qu'elle nous aperçoit. Le moteur démarre bien avant que nous arrivions à sa hauteur, mais une fois tous installés, à bout de souffle, elle hésite :

- Où est Tommy ?

- Démarre, Amina, se contente d'ordonner Mehdi. On rentre.

Elle ne rétorque rien mais son visage s'attriste lorsqu'elle fait le lien entre nos expressions défaites et l'absence de notre chef, et le camion s'ébranle en silence.

C'est fini. La mission est terminée, et c'est un échec cuisant. J'appuie mes coudes sur mes genoux et cache mon visage dans mes mains. Pas pour pleurer, je n'en ai plus la force, mais pour tenter de cacher mon désespoir. Qui me rassurera quand mes émotions viendront m'embarquer dans leur tourbillon infernal désormais ? Sans Tommy pour m'accorder son attention et me brusquer, personne ne pourra m'empêcher de sombrer. Sans Tommy, comment me sentir en sécurité dans ce monde en guerre qui n'a fait que me détruire ? Lui seul a su faire naître en moi un sentiment de sécurité depuis que j'ai perdu Sean, tout simplement parce qu'il est sans pitié, envers tout le monde.

Et plus que tout, je suis terrifiée d'imaginer ce qu'il vit en ce moment, s'il n'est pas déjà mort. Il doit se sentir trahi, abandonné et terriblement seul, s'il n'est pas à la merci de souvenirs aussi douloureux que cruels.

- Putain...

Mon soupir m'a échappé sans que je ne puisse le retenir, attirant tous les regards sur moi. Comme un électrochoc, ce mot me sort de ma torpeur. Il faut que j'extériorise. Mon chagrin et ma culpabilité se transforment en colère alors que je répète, plus durement :

- Putain de merde !

Je pose mes yeux accusateurs sur Chen, qui m'observe en se pinçant les lèvres et en tentant d'enterrer son expression coupable.