Chapitre 11

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Stan

Comment en suis-je arrivé à suivre ces trois inconnus alors qu'ils m'ont visiblement fui ? Bonne question.

Une bonne dose de fatigue. Une de désespoir. Une double de panique. Et une décision prise sans la moindre réflexion. 

J'ai l'impression d'être un malfaiteur à les suivre de la sorte. Je devrais arrêter, je le sais, mais cette touffe de cheveux roses est mon seul repère ! Un repère qui pourrait m'éloigner encore plus de ma destination, mais un repère quand même !

Mon regard tombe dans celui de Grognon. Honteux, je fais aussitôt semblant de consulter mon téléphone... comme si ça allait le convaincre, il a lui-même constaté son décès ! Je trépigne, esquisse un demi-tour qui devient finalement un tour complet et je continue de les suivre.

T'es ridicule, Stan tu fous quoi ! Arrête !

Le problème, c'est que si j'arrête, je serai obligé d'affronter ma situation, et si je dois affronter ma situation, je m'effondre. 

Qu'est-ce qui est pire entre suivre ces trois-là et me mettre à pleurnicher, à genoux au sol ? Je ne sais pas. Choix difficile. 

Mon inconscient décide pour moi : il les suit. Ralentit quand ils ralentissent. Fait mine de regarder les bâtiments quand ils se retournent. 

Ça ne trompe personne. Le troisième membre de leur trio (un type austère à la tenue aussi sobre qu'est colorée celle de Rosie) ne me quitte plus du regard, oscillant entre agacement et amusement. Les deux autres marchent désormais comme si je n'existais plus. 

Tant mieux, deux témoins de moins à ma déchéance.

Pendant quelques secondes tout à l'heure, j'ai cru avoir rencontré les idols de ce matin... mais peut-on vraiment tomber comme ça sur des célébrités en pleine rue ? Sans aucun garde du corps ? Parce que Austère Man a peut-être la mine sévère des agents de sécurité, il n'en a pas la carrure. Il est même plus petit que Rosie. On dirait plus un groupe d'amis dont deux des membres ont été forcés à sortir par le troisième.

— Excuse-me ?

Austère Man apparait subitement dans mon champ de vision. Je sursaute, pris de cœur. Hésite à m'enfuir. Me dis que ce serait bien trop suspicieux.

— I'll help you if you act like we are friends.

Le problème quand on se trouve dans un pays étranger dont on ne parle pas la langue, c'est qu'il faut brancher son cerveau sur un canal de transmission alternatif. En l'occurrence, l'anglais. Dans mon état de stress, l'option, impossible de garder l'option cochée. Alors j'arrondis les yeux comme si j'étais un ahuri et je fais répéter Austère Man. Une mimique agacée froisse son visage. Il lève les yeux au ciel, me prend avec rudesse par le coude pour me faire avancer avant de répéter en détachant chacun de ses mots.

Il m'aidera à condition que j'agisse comme si nous étions amis.

C'est une blague ?

Non. Au vu de ses lèvres pincées et de ses sourcils froncés par l'attente de ma réponse, ce n'est pas une blague.

Pourquoi est-ce toujours quand on est dans une impasse qu'on reçoit des demandes aussi singulières ? Pas que ça m'arrive souvent, mais il suffit que je sois coincé pour qu'une tuile me tombe sur le coin du nez. 

J'accepte, la mort dans l'âme, et lui précise que je ne connais rien des standards amicaux en Corée du Sud. Que je ne connais rien de la Corée du Sud tout court. L'information ne lui plaît pas. Il grommelle entre ses dents quelque chose qu'il vaut sans doute mieux ne pas avoir compris, puis me demande de simplement marcher à ses côtés en faisant mine de parler. Je n'ai même pas besoin de dire quelque chose d'intéressant, nous devons juste feindre d'avoir une conversation le temps d'arriver au pop-up store... 

Je n'ai pas le temps de le remercier qu'il m'interrompt déjà en m'indiquant Grognon et Rosie du menton : ce sont eux, les responsables. Lui n'y est pour rien.

Je m'attends à ce qu'il laisse le silence s'étirer entre nous, au lieu de ça, il se met à parler en Coréen d'un ton jovial et amical. C'est déroutant. Aussi déroutant que de devoir sourire et acquiescer de temps à autre en espérant arriver à bon port et pas au fond de la rivière.

Au fond, qu'est-ce qui me garantit que je n'ai pas affaire à un trio de mafieux ? Peut-être que la mafia coréenne ressemble à la mafia japonaise. Peut-être qu'ils ne m'emmènent au pop-up store que pour demander une rançon à ma sœur. Peut-être qu'ils veulent me dévaliser...

Peut-être que tu devrais ralentir un peu sur l'imagination, Stan, leurs fringues coutent le triple des tiennes, t'as plus de téléphone et tu respires tout sauf le luxe. T'es pas dans un de tes livres !

Ça, c'est certain : jamais un de mes héros n'aurait agi de manière aussi stupide. Partir se promener dans un pays étranger ? Se faire détruire son téléphone ? Finir par suivre des inconnus ? Non, vraiment, mes héros ont plus de neurones que moi : ils auraient analysé absolument toutes les possibilités avant de trouver une solution n'incluant pas de devoir faire confiance au premier venu.

Le décalage horaire a réduit mes neurones en compote, c'est pas possible que j'ai été aussi con ! 

— And so, wat are-you doing in South Korea ?

L'épaule d'Austère Man heurte la mienne, il passe le bras autour de mes épaules sans parvenir à masquer une grimace. Je trouve un peu de réconfort dans l'idée qu'il soit aussi mal à l'aise que moi, lutte contre l'envie de le repousser et lui réponds en cherchant mes mots que je dois assister à un concert avec ma sœur. La grimace devient sourire sardonique. 

— Hm. That's why you are a rude tourist and didn't learn anything about South Korea.

C'est donc ainsi qu'il me voit : un homme impoli qui ne voulait pas de se renseigner sur un pays juste pour assister à un concert. Grand bien lui fasse : ma vie ne changera pas à cause de son avis. Sauf si c'est un criminel.

Dans le doute, je m'empresse de le détromper : ce voyage, je ne l'ai jamais voulu. Hier encore, je pensais passer ma journée d'aujourd'hui à manger des pots de glace devant une série netf... devant mon chapitre à écrire. Je n'ai jamais rêvé de venir à Seoul, je n'ai jamais pensé venir à Seoul et sans la vipère qui me sert de demi-sœur, JAMAIS je ne me serais perdu à Seoul. Parce que je n'y aurais jamais posé les semelles. 

Contre toute attente, Austère Man éclate de rire. J'ignore si c'est à cause de ma tirade, où si ce sont mes baragouinages en anglais qui l'amusent, mais il change du tout au tout. Comme s'il venait par magie de faire passer une constipation sévère de plusieurs jours. Il rit si fort que Rosie et Grognon se retournent pour nous observer, surpris. Mon « nouvel ami » les ignore et se redonne une contenance en une fraction de seconde.

— If you're a writer... you should write this adventure !

Écrire cette aventure ? S'il me le propose, c'est qu'il ne fait pas partie de la mafia. C'est que je vais arriver à bon port. C'est que je vais retrouver mon ordinateur portable (bon, je vais retrouver Kamilla par la même occasion, mais c'est un détail) ! 

J'accélère le pas, soudain pressé de retrouver mon clavier. Mon cerveau fourmille déjà d'idée. Peut-être que je proposerai à Steph de l'écrire avec moi, celui-là.. ou pas. Je ne sais pas. Est-ce que je peux vraiment l'écrire ?  Ce qui m'arrive est tellement incroyable que je sais déjà quels retours je vais récolter : « Ça manque de réalisme » « Il y a trop de coïncidences qui nuisent à la crédibilité ! », « Pourquoi y a pas de romance !? » 

Encore que... il faudrait déjà être lu pour récolter ce genre de remarque. 



Famous 𝓘𝓭𝓸𝓵, Secret 𝓵𝓸𝓿𝒆Où les histoires vivent. Découvrez maintenant