Chapitre 24

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— Je crois que je vais plutôt rester dormir ici, déclare Magalie, calée contre le mur alors que les binômes fraîchement formés passent la porte de service les un derrière les autres. Bonne nuit Stanni !

Et elle s'adosse au mur en fermant les yeux. Tous les autres sont déjà sortis.

Si j'étais l'auteur de mon histoire, j'écrirais « tous les autres sauf le beau John-oh », mais bien sûr, je ne suis pas l'auteur de ma propre vie. Et je peux regarder autant que je veux aux alentours, je suis bel et bien le dernier de l'équipe de recherche.

— J'imagine que notre duo devient un solo, grommelé-je.

J'abandonne Magalie à sa cuite et retrouve les autres dehors. Ils se tiennent tous épaules contre épaules comme pour une photo de famille. D'ailleurs, un des serveurs attend à quelques pas devant eux, son smartphone dans la main.

Sitôt qu'il me voit, Grognon lève les yeux au ciel et me fait signe de venir. J'hésite. Cherche John-oh du regard. Hélas, il se trouve de l'autre côté du groupe.

— Qu'est-ce qui t'a pris aussi longtemps ? ronchonne Grognon quand je le rejoins. Tu trouvais plus comment mettre un pied devant l'autre ?

— C'est Magalie qu'a pas trouvé : elle est pleine comme une loutre. 

Grognon plisse la bouche et lève un sourcil. Avec son bonnet, ce n'est plus au stroumph grognon qu'il ressemble, c'est au nain grincheux. D'ailleurs, il n'est plus si grognon que ça avec moi. Peut-être que je devrais commencer à l'appeler par son prénom ?

— On dit pas plutôt comme une outre ?  Non parce que ça veut rien dire, grognon comme une loutre.

Non, finalement, je vais garder Grognon.

— Tu ne connais juste pas l'expression, rétorqué-je avec toute la mauvaise fois dont je suis capable. Y a une nuance entre comme une outre et comme une loutre.

— Et c'est quoi la nuance ?

— Y a un qui a une aile, m'esclaffé-je juste avant que le manager ne nous rappelle à l'ordre.

— Shut up and smile for the photo ! (fermez-là et souriez pour la photo)

J'obéis par réflexe et étire mes lèvres crispées en quelque chose qui tient plus de la grimace que du sourire. Je me penche vers mon voisin, l'air de rien et murmure entre mes dents serrées :

 — Elles servent à quoi vos foutues photos ?

— À nous protéger des rumeurs. Si des stans... me regarde pas bizarrement espèce de ramen ramolli, je parle pas d'une invasion d'écrivains zombies aigris... 

— Je suis fatigué, protesté-je. Et j'ai pas l'habitude d'entendre mon prénom dans ce contexte, hein. En plus, ce serait terrible pour la Corée, une armée de Stan zombies aigris...

— Tu veux savoir ce qu'on fait ou pas ?

Et nous revoilà en train de nous chamailler pour une broutille, Grognon et moi. Même si sa bouche se tord en rictus mécontent, ses yeux brillent de joie alors qu'il trouve mille et un prétextes pour ne pas me répondre. Je dois bien admettre que je m'amuse comme un petit fou, moi aussi. Ça me tient éveillé. Ça m'empêche de déprimer. De penser que dans quelques minutes, je vais me retrouver dans un champ avec pour seul compagnie une lampe torche et une envie de m'allonger dans le foin pour dormir.

Ce qui est idiot, il n'y a pas de foin dans les champs en hiver. 

La séance photo finit avant que je n'ai l'explication de sa nécessité. 

— C'est au cas où des sasaengs... 

— Des quoi ?

Grognon roule des yeux comme si j'étais un enfant trop curieux. Ce n'est pas le cas : au fond, je me fiche de ce que ça veut dire, c'est juste que je ne comprends déjà pas les trois quart des conversations qui fleurissent autour de moi, j'aimerais bien comprendre celle dans ma langue natale ! 

— Des fans tellement obsédés qu'elles sont prêtes à acheter des informations sur leurs idoles pour les stalker. C'est au cas où elles filment un duo et répandent des rumeurs dessus, l'équipe des relations publiques pourra tout démentir grâce à ces photos. Sans ça, jamais Han Seungyong n'aurait accepté qu'on vous aide, et le manager de Yoonie et Kira non plus.

Ma cervelle d'auteur aurait dû y penser ! 

— C'est malin. Je m'en souviendrai si je dois écrire ta fanfiction !

— By the way, intervient soudain Austère Manager. Don't ever write anything about you and Jeonho if you don't want a defamation lawsuit. And don't talk about it to anyone. I'm not joking. (D'ailleurs, n'écris jamais rien à propos de toi et Jeonho si tu ne veux pas de procès pour diffamation. Et n'en parle à personne. Je ne plaisante pas.)

— Wait... tu understand le french ? m'étonné-je alors que la réponse ne fait aucun doute.

Impossible qu'il rebondisse sur la fanfiction par pure coïncidence.

This guy speaks French all the time, soupire Austère Manager en montrant Grognon. I understand, but I can't speak. (Ce gars parle français tout le temps. Je comprends, mais je ne peux pas le parler)

Mon cerveau s'embrouille et me fait chercher John-oh du regard. Je le trouve finalement en grande conversation avec l'idol qui lui a prêté son pantalon. Ils nous tournent à demi le dos et observent le champ qui s'étant devant nous.

Enfin, qu'ils l'observent, c'est mon interprétation : je ne vois ni leur expression ni leurs yeux d'ici.

— Dis, est-ce que John-oh comprend, lui aussi ?

Je soupire à ma propre question. Fais signe à un Grognon hilare de ne pas répondre, ce qu'il fait quand même.

— Franchement, Stan, j'arrive pas à savoir si tu es extrêmement fatigué ou juste idiot.

— Probablement les deux, on va pas se mentir. Je sais qu'il parle pas le français, en plus, ça le contrariait tout à l'heure !

— Tu es sûr que tu veux participer aux recherches ?

Pour une fois, Grognon ne me taquine pas. Il m'étudie d'un air inquiet, glisse ses doigts sur mes cernes au moment où ses deux amis se tournent vers nous et recule d'un bon pas.

— Faudrait pas qu'on cherche trois personnes au lieu de deux, achève-t-il en reprenant son ton narquois.

— Moi, ça me gêne pas, mais tu seras obligé de leur dire que tu parles très bien le français parce que ces deux dindes ne parlent pas un mot d'anglais et Kloé doit en connaître cinq en Coréen. Même moi j'en connais plus, t'sais ! 

— He can come with us, propose Austère Manager au moment ou les deux autres nous rejoignent. (Il peut venir avec nous ?)

John-oh se tend. L'autre dont je ne me souviens toujours pas du nom frémit et regarde ses pieds. Moi, j'ai froid dans mon pantalon mouillé. Mais seulement aux jambes.

Drôle de prise de conscience, c'est pas comme si j'avais les fesses mouillées depuis un quart d'heure...

Une fois de plus, ils échangent quelques phrases qui chantent sans signification pour moi. J'en ai presque envie de partir pour ne plus me sentir exclu. 

Je pourrais, après tout ! Les premiers duos s'éloignent déjà dans la pénombre en criant les deux prénoms maudits. Je pourrais me joindre à eux... ou alors, je pars tout seul dans mon coin, je m'adosse à un arbre et je fais comme Magalie.

Mes paupières battent. Luttent pour rester ouverte.

C'est une plutôt bonne idée, ça, de chercher un endroit ou dormir. Et tant pis si on doit me chercher. Tant pis si les filles sont retrouvées et qu'elles ne comprennent rien. Ce n'est pas mon problème.

Je m'éloigne en toute discrétion, enfin, je crois.

À présent que le froid et le noir de la nuit m'enveloppent, je n'arrive plus à penser à autre chose.

Me reposer.

Dormir.

Plonger enfin dans ce sommeil plus que mérité...




Famous 𝓘𝓭𝓸𝓵, Secret 𝓵𝓸𝓿𝒆Où les histoires vivent. Découvrez maintenant