Le halo de la lampe torche balaie l'étendue terreuse devant moi, ou devrais-je dire plutôt devant « nous ».
Je n'avais pas fait trois pas que Grognon, Austère Manager et John-oh m'avaient rejoint. Je ne leur ai pas demandé pourquoi. Je ne suis plus d'humeur à l'humour. J'ai hoché la tête sans desserrer les dents ni jeter un regard à Grognon qui est resté derrière moi avec John-Oh. Han Seungyong s'est porté à mon niveau.
Il est le seul de nous quatre à parler... et quand je dis parler, c'est plutôt « crier les noms des deux K perdues » à m'en détruire les tympans. Il n'est pas le seul à beugler, mais c'est lui qui le fait le plus fort.
Comme tous les autres, il n'obtient aucune réponse : les adolescentes ne sont pas dans le champ. Ce n'est pas une surprise, qui ferait une fugue pour rester à découvert pendant plus d'une demi-heure ? Personne, même pas deux vipères aussi stupides qu'elles.
Alors que nous atteignons la lisière d'un bois, John-oh et Grognon commencent à discuter à voix basse. Ma nuque fourmille comme si quelqu'un la fiait avec intensité. Sauf qu'avec la pénombre, il y a peu de risque que qui que ce soit voit ma nuque.
Entre les deux de derrière, le ton monte. Je tends l'oreille comme si je comprenais le coréen. Qu'est — ce qui me pousse à avoir envie de les espionner ? L'envie qu'ils parlent de moi. Il y a quelques heures, j'aurais pensé ça impossible. Plus maintenant. Pas après le moment torride passé avec John-oh dans la douche. Pas après avoir découvert sa possible jalousie.
Je ne sais pas s'il serait logique qu'ils se disputent à ce propos, mais j'en ai envie. Parce que ça voudrait dire que je ne suis pas une conquête de plus sur la liste du chanteur. Pas que ça m'ennuie, mais...
Si. On peut même dire que ça m'emmerde. Et que ce mec soit canon, populaire et habite à l'autre bout du monde m'emmerde deux fois plus. Je pouvais pas ressentir ça pour Rémi, non ? Un type banal, comme moi. Un type simple avec qui je risque pas de perdre de l'argent que j'ai pas si j'ai le malheur de dire ce qu'il faut pas.
Et puis soudain, le Graal. Enfin, mon prénom. Prononcé par John-oh. Répété (de manière ronchonne et écœurée, un peu) par Grognon que je sens de plus en plus agacé. Sa voix claque, semblable à un coup de fouet sec et sévère. Puis il éructe mon prénom. Puis encore. Puis...
— Stan, tu pourrais répondre quand je t'appelle, tu crois pas ?
— Hein ? C'est à moi que tu parlais ?
— Tu vois d'autres Stan dans le coin ?
— Ça dépend si tu parles de Stan ou de stans, répliqué-je en me tournant vers eux.
Aussitôt, John-oh détourne le regard (et sa lampe) en enfouissant ses mains dans ses poches. Son visage s'évanouit dans l'obscurité. Je me renfrogne.
— Je peux savoir ce qu'il se passe ? soufflé-je. Depuis la salle de bain, il est bizarre. C'est à cause de moi ?
— C'est exactement de ça qu'on parlait !
Je déglutis. C'est ce que j'espérais et pourtant, je me sens mal tout à coup. Nerveux. Anxieux. Comme un gamin sur le point de se confesser pour la première fois de sa vie.
Ce qui ne serait pas si loin de la vérité... je crois bien ne l'avoir jamais fait.
— Il croit que j'ai des vues sur toi, lâche Grognon en reniflant.
— Ew !
— Et que tu en as sur moi, ronchonne Grognon avant d'ajouter une phrase à l'intention de John-oh.
Si seulement il ne faisait pas nuit, j'aurais pu voir sa réaction !
Ouais, enfin, s'il faisait pas nuit, vous seriez pas là à discuter de ça au lieu de chercher les sales gosses. Au moins, on a une excuse. Et puis Austère Man les cherche encore pour nous, ça compte, non ?
— Ew fois deux.
J'hésite un instant. Deux intrigues s'offrent à moi. Celle que je déteste le plus quand je lis un roman, le malentendu facilement réglable, mais qu'on ne règle pas pour une raison abstraite : dans mon cas, ce serait parce que je ne le reverrais jamais après demain, ce qui n'est pas si abstrait que ça. Et l'autre, celle que je préfère, la voie de la communication.
Celle que je choisis. Celle que je voudrais choisir. Celle que je choisirai quand ma compotée de neurones aura réussi à se mettre en mode « anglais ».
— I... I don't like Grognon... Minjin, je veux dire Minjin. Je don't like Minjin. Il me plaît pas. It doesn't... he doesnt'... plaît me. That's a big ew. He's not my type. (Je... je n'aime pas Grognon. Ça ne me... il ne me plaît pas. C'est un big Ew, c'est pas mon genre.)
Même si dans les faits, je n'ai jamais tellement eu de « genre ».
— Voilà, approuve Grognon. Y a même pas un début d'étincelle entre nous, là, je sais pas ce qu'il s'imagine !
— C'est à lui qu'il faut le dire, pas moi, rétorqué-je avant de reprendre la marche.
Je me sens confus. Nauséeux. Mal à l'aise. Je redoute la réaction de John-oh autant que je l'attends. J'ai envie de me poser pour réfléchir et de m'enfuir le plus loin possible. J'ai dissipé le malentendu, certes. Mais ça ne veut pas dire que John-oh va l'accepter. Peut-être que ce n'était qu'une excuse pour se débarrasser de moi, au final.
Même si ça aurait été plus simple de m'ignorer...
En tout cas, après une dernière remarque de Minjin, le duo dans mon dos s'est tu. Ils m'emboîtent le pas et je profite du fait qu'ils éclairent le sol pour balayer le champ de ma lampe-torche. Austère Manager a rejoint le petit groupe de chercheurs qui ne se trouve qu'à une dizaine de mètres sur notre droite.
On devrait faire pareil, tiens.
Je bifurque.
— Stan, wait ! There is a hole, be careful !
— Hein ?
Le temps que mon esprit embrumé traduise, il est trop tard. J'ai déjà posé le pied sur le trou. Dans le trou, du coup. Dans le vide, quoi. Et forcément... je bascule en avant.
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Famous 𝓘𝓭𝓸𝓵, Secret 𝓵𝓸𝓿𝒆
RomanceStan a tout pour être malheureux, vraiment tout ! Une rupture récente, une vie professionnelle catastrophique, un père dépassé et une demi-sœur détestable. Oui, vraiment, Stan a tout pour être malheureux, mais à force d'additionner du négatif, il ne...