13. Retenue et leçon

40 6 0
                                    

Le jeudi était passé comme un éclair pour Félix. Les cours s'étaient enchaînés, et entre les leçons, les devoirs, et les regards curieux ou méfiants de certains élèves, il n'avait pas vu le temps filer. À peine la cloche de fin de journée avait-elle sonné qu'il réalisa qu'il était déjà dix-sept heures. Il soupira, sachant parfaitement ce que cela signifiait. Il devait se rendre à sa retenue avec le professeur Sinistra.

Mais à sa grande surprise, cette fameuse retenue ne se déroulerait pas dans une salle de classe, ni même dans les cachots comme il l'avait craint. Non, sa destination se trouvait dans la tour du Clocher, là où se trouvait la salle de musique.

Il monta les escaliers à contrecœur, son esprit encore troublé par les événements de la semaine. Il se demandait ce que Sinistra avait en tête en l'emmenant là-bas. La musique n'avait jamais été au programme des retenues... Mais en gravissant les marches de la tour, il sentit une étrange curiosité s'emparer de lui.

Lorsqu'il atteignit le sommet, il poussa la lourde porte de bois et entra dans la salle de musique. C'était une grande pièce circulaire, baignée de la lumière douce de la fin d'après-midi, avec des fenêtres étroites laissant passer quelques rayons dorés. Des instruments variés étaient disposés ça et là : un piano à queue, quelques harpes, des violons suspendus, et des étagères remplies de partitions jaunies. L'endroit avait une odeur particulière, mélange de bois ciré et de vieux parchemins.

Au centre, il vit le professeur Sinistra, debout près du piano. Elle se tourna vers lui avec un sourire apaisant lorsqu'il entra.

— Bonsoir, Félix, dit-elle doucement. Comment te sens-tu aujourd'hui ?

Félix haussa les épaules, sans répondre tout de suite, scrutant la pièce du regard. La présence de tous ces instruments l'intriguait.

— Je vais bien, murmura-t-il finalement, avant de lever les yeux vers elle. Mais... Qu'est-ce qu'on fait ici ?

Sinistra sourit davantage, comme si elle s'attendait à cette question.

— Eh bien, je pense que nous pourrions utiliser ce temps de retenue à bon escient, dit-elle doucement. Tu vois, Félix, tu as beaucoup de choses en toi... Des choses que tu as besoin d'exprimer, d'extérioriser. Et parfois, les mots ne suffisent pas. C'est pour cela que je t'ai amené ici.

Elle se tourna vers le piano et effleura les touches d'un geste léger.

— J'ai remarqué quelque chose, samedi, lorsque tu étais à l'infirmerie, ajouta-t-elle. Tu tapotais tes doigts comme si tu jouais du piano... même sans y penser.

Félix fronça les sourcils, surpris. Il n'avait même pas réalisé ce qu'il faisait.

— Oui, tu jouais, continua Sinistra. Et je me suis dit que peut-être... ça pourrait t'aider à t'apaiser, à retrouver un peu de sérénité.

Elle s'éloigna légèrement du piano et lui fit signe de s'approcher.

— Viens, Félix. Montre-moi ce que tu sais faire.

Félix hésita, ses yeux glissant vers le piano, puis vers le professeur. Ce n'était pas ce à quoi il s'attendait pour une retenue.

Il resta immobile à quelques pas du piano, ses bras croisés et son regard fixé au sol. La salle de musique était silencieuse, mais il sentait le poids des touches noires et blanches, comme si elles l'appelaient, le défiaient même de les toucher. Un mélange de colère et de tristesse monta en lui, un nœud familier dans sa gorge.

— Tu peux t'approcher, tu sais, l'encouragea doucement le professeur Sinistra. Tu n'es pas obligé de jouer tout de suite. Juste... t'asseoir.

Félix secoua la tête, refusant d'un geste brusque. Il ne s'approcherait pas. Pas de ce piano. Pas aujourd'hui. Pas avec elle.

Le Phénix NoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant