Chapitre 19

144 9 0
                                    


Les jours suivants défilent lentement, rythmés par la routine habituelle. Pourtant, une gêne semble s'être installée entre Quil et moi, une tension palpable chaque fois que nos regards se croisent. Je me surprends à observer ses moindres gestes, à chercher dans ses expressions une trace de ce qu'il pourrait ressentir. Mais Quil reste mystérieux, insondable.

Comment en sommes-nous arrivés là ? La question tourne en boucle dans ma tête, sans réponse évidente. Depuis que nous nous connaissons, nous sommes de plus en plus proches, mais quelque chose a changé. C'est comme si une barrière invisible avait été franchie, une barrière qui aurait dû rester fermée.

Malgré cela, la vie continue. Je dois garder la tête froide. Pour Claire.

Ainsi, quelques jours plus tard, nous nous rendons tous les trois à la garderie. Claire trottine joyeusement entre Quil et moi, son petit visage illuminé d'excitation. J'ai finalement réussi à convaincre les éducatrices de laisser Quil venir au goûter des parents. Je pensais que ce serait plus difficile, mais finalement, ils ont accepté rapidement, notamment grâce à Loïs qui a assisté à « l'incident diplomatique » que Claire a soulevé, comme dit Quil.

À peine sommes-nous arrivés que plusieurs enfants se précipitent vers Claire, l'entraînant vers les buffets où sont disposés gâteaux, friandises et jus de fruits. Quil et moi échangeons un regard complice. Je sais à quel point il peut se sentir mal à l'aise avec son appétit de loup qu'il va certainement réfréner car nous sommes en public.

Entourés d'autres parents et du personnel de la garderie qui discutent joyeusement, Quil reste près de moi et légèrement en retrait, préférant surveiller Claire de loin. Il ne touche qu'à peine aux gâteaux, se contentant de petits morceaux pour ne pas attirer l'attention.

Je m'en doutais. Une chance pour lui, je n'ai pas une grosse appétence pour le sucré, et les parts de gâteau étant énorme, je décide de lui passer mes restes de gâteaux qu'il finit pour moi tout en maintenant mes conversation avec les gens autour de moi. Certaines personnes me lancent des regards amusés, interprétant nos échanges avec Quil comme des gestes d'affection naturelle de couple.

Les ragots continueront donc d'être alimenté dans tout Neah Bay... Je souris à Quil qui sourit en retour. Je pense qu'il n'a pas la moindre idée de ce qui se trame dans ma tête, mais c'est pas grave.

Il s'éloigne, appelé par ma fille qui souhaite sûrement jouer un peu avec lui. Je le regarde organiser une séance de cache-cache avec les enfants et quelques parents qui ont décidé de jouer le jeu pour l'occasion.

La partie dure un bon quart d'heure avant que les adultes abandonnent un à un. Quil encourage Claire à trouver une autre occupation avec ses copains et copines et se dirige discrètement vers le buffer.

— Sky, tu devrais vraiment goûter ça, c'est incroyable, m'interpelle-t-il en s'approchant de moi à grand pas, son assiette à la main.

D'un même mouvement, je m'approche de lui, m'éloignant du groupe de parents avec lequel je discutais, enfin, que j'écoutais parler. Quil découpe un morceau d'un gâteau quelconque à la crème et approche la cuillère de mes lèvres. Sans réfléchir, j'ouvre la bouche et il y enfourne sa cuillère. Je mâche, tandis qu'il me regarde, impatient d'entendre mon verdict.

— Hmm, dis-je en ouvrant grand les yeux. T'as raison c'est incroyable !

— T'as vu ça ! Prends-en une part pour moi, s'te plaît, me chuchote-t-il avec un regard suppliant.

Je cède. J'en mange un bout et lui laisse le reste bien volontiers !

Claire s'approche de nous d'un air légèrement chipie. Je l'observe avec attention et fronce les sourcils.

— Dis donc miss coquinette, tu as mangé du gâteau sans me demander ?

— Non maman !, nie-t-elle en se tortillant sur place avec un regard brillant de malice.

— Et c'est quoi, ça ?, dis-je en essuyant le coin de sa bouche avec mon pouce.

Je lui montre la crème au beurre au bout de mon doigt avant de le porter entre mes lèvres. Je la dispute un peu, elle s'excuse et je la laisse filer rejoindre ses camarades.

Je me redresse et c'est alors que je remarque une trace de crème au bord des lèvres de Quil. Sans même réfléchir, je tends la main, essuie délicatement la crème avec mon pouce, puis porte machinalement mon pouce à ma bouche pour le lécher. Quil me regarde, surpris, mais ne dit rien.

Le reste de l'après-midi se passe dans une ambiance détendue. Quil continue de manger, acceptant mes restes de gâteau, nous plaisantons avec les autres parents et Claire s'amuse comme une folle. Bref, un après-midi en famille, rien de plus, rien de moins.

Mais le soir, après avoir couché Claire et après le départ de Quil, je me retrouve seule avec mes pensées, allongée sur le canapé du salon. Perdue dans le flot de mes pensées, je repasse en boucle chaque moment, chaque regard, chaque geste échangé avec Quil.

Bon sang ! Qu'est-ce qu'il m'a pris d'essuyer la crème de ses lèvres, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde ? Je ne l'ai même pas remarqué sur le coup, mais maintenant, je me sens tellement gênée.

Pourquoi ai-je fait ça ?


C'était un geste si... intime ! Quil n'a rien dit, mais il était surpris. C'est clair. Et moi ? Je me suis comportée comme si c'était normal alors que ça ne l'est pas ! Merde, merde merde ! Je me lève brusquement du canapé, le cœur battant plus vite. Tout ça, c'était juste... trop naturel, trop facile. J'ai voulu jouer le jeu du flirt et je commence à m'y perdre. Est-ce qu'il a remarqué ? Est-ce que je commence seulement à m'y perdre ?

Rien n'est moins sûr.


A force de décortiquer tous nos moindres faits et gestes, je sens une chaleur monter en moi – comme d'habitude lorsque je pense à lui. Je me dirige vers ma chambre récupérer mon « Quil V » et me rend dans la salle de bain. Là, j'allume la lumière et ferme la porte derrière moi. Je secoue la tête pour chasser ces pensées, mais elles s'accrochent, il n'y a rien à faire.

De toute façon, j'ai déjà perdu la partie.

Je fais couler l'eau, profitant du bruit apaisant et pénètre dans la cabine de douche. L'eau chaude ruisselle doucement sur ma peau tandis que je me laisse aller à mes sensations. Je m'installe, la vapeur créant une bulle où je peux enfin me détendre, libérer la tension accumulée.

Mes pensées dérivent inévitablement vers Quil. Sa proximité, ses sourires, sa chaleur. Je ferme les yeux et me concentre sur les sensations, mon corps réagissant à l'image de lui dans mon esprit. Je m'abandonne à ce moment, cherchant un apaisement que je ne trouve que dans cette intimité solitaire.

Une fois l'extase passée, je reste un instant immobile, les yeux clos, reprenant mon souffle. L'eau continue de couler sur mon corps nu et je me rabroue, encore une fois.

Ce n'est qu'un instant de faiblesse. Rien de plus.

Je me relève, ferme l'eau et me sèche lentement. Il faut que je mette de l'ordre dans ma tête. Cette histoire avec Quil... Je dois être plus vigilante.

Il faut que cela cesse, mais vais-je vraiment y arriver ?


Je quitte la salle de bain, éteint la lumière derrière moi et me dirige vers ma chambre. Ce soir, je m'efforce de chasser ces pensées et de trouver un peu de repos. Mais je sais que, même si je ferme les yeux, l'image de Quil ne me quittera pas facilement... Je suis perdue.

Celle que je ne suis pasOù les histoires vivent. Découvrez maintenant