Chapitre 11

71 5 43
                                    

Gabriel rejoint Matignon d'un pas rapide et agacé. Visiblement, ce n'était pas sa journée, aujourd'hui. Parfois, il en avait assez d'être premier ministre. Travailler avec ces imbéciles chaque semaine, s'en était trop. Mais Emmanuel n'accepterait pas sa démission, c'était sûr. Son statut de premier ministre permettait au président d'avoir un contrôle presque total sur lui. Il n'avait aucune raison de le laisser partir.
Attal en avait marre de tout ça, et même s'il n'avait pas oublié l'événement de ce matin, il avait envie de parler à Jordan. Jordan, qui malgré ses défauts bien trop nombreux, était celui qui le comprenait mieux que quiconque. Son ami, son amour, son confident.
Son téléphone vibra. Le nom de son amant s'afficha à l'écran. Il décrocha immédiatement.

« Jordan ! s'écria-t-il d'un ton fort enjoué. J'allais justement t'appeler.

- Gab, tu vas être chokbar... On trend sur Tiktok !

- Quoi ?...

- On trend sur Tiktok, mon Gab ! Les jeunes ont regardé le débat, ils ont vu nos regards amoureux, ils en ont fait des édits ! Et aussi des fanfictions, apparemment... Marine m'a conseillé L'urne ou l'amour, il faut que j'aille lire ça.»

Gabriel Attal crût s'évanouir. Si tout le monde savait, le président saurait aussi. Il était foutu.

« Putain, Jordan, paniqua-t-il. Comment on va faire ?

- Hein ? Mais ne t'inquiètes pas, mon lapin. Comme l'a dit Marine, on a juste à rire là-dessus avec eux et ils penseront que c'est une blague.

- Tu crois qu'ils sont cons à ce point ?

- J'en suis sûr. »

Un silence de quelques longues secondes, peut-être même de quelques minutes, s'installa entre les deux hommes. Gabriel entendit alors Jordan inspirer profondément à l'autre bout de la ligne. Il faisait toujours ça quand il avait quelque chose d'important à dire.

« Gabriel, commença Jordan. Je veux que tu sois honnête avec moi.

- Je jure de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, dit solennellement le premier ministre.

- Est-ce que tu es de gauche ? »

Encore un peu et Attal balançait violemment son cellulaire sur le sol à l'autre bout de la pièce.

« Doux Jésus, dit-il en pinçant le haut de son nez pour tenter de garder son calme.

- Non, moi c'est Jordan...

- Je ne suis pas de gauche, Jordan. J'ai quitté le parti socialiste pour une raison. Je ne sais pas comment te le faire comprendre. »

Bardella ne répondit pas. Peut-être réalisait-il qu'il lui fallait faire plus confiance à l'homme qu'il aimait.

Les jours passaient, les débats s'enchaînaient et les élections européennes se firent de plus en plus proches. La tension montait partout, sauf au QG du Rassemblement National. En effet, ici, c'était la sérénité qui avait pris place. Tout le monde était sûr de la victoire proche du parti. Était-ce la faute des sondages ? D'une sur-représentation dans les médias ? Simplement d'un ego surdimensionné et d'une fierté sans limites ? Peu importe, le RN était confiant. Les bureaux de vote ouvriraient d'ici quelques dizaines de minutes et Jordan était excité comme une puce. Il savait que ce soir, il serait à la tête du parti élu à la majorité. Marine lui apporta un café.

« Combien de députés à ton avis, mon loulou ? demanda Marine en déposant la boisson dans les mains du jeune homme.

- Cent-douze, répondit Jordan en hochant la tête.

- Ce n'est pas possible, rétorqua Marine.

- Pourquoi pas ?

- La France aura quatre-vingt-un députés.

- Ah bon... »

Jordan Bardella avait beau être membre du Parlement Européen depuis cinq ans déjà, son taux de présence y était si bas qu'il n'avait toujours pas compris comment ça fonctionnait. Il était un peu bête, mais cela ne dérangeait pas vraiment Marine. Après tout, il n'était pas le président du Rassemblement National pour son intelligence et sa vivacité d'esprit, mais bien parce qu'il était un beau jeune homme capable de s'attirer les foules. Quoi de mieux pour dédiaboliser l'extrême droite qu'un garçon à l'air un peu homosexuel sur les bords ? Ça, Marine l'avait bien compris. Elle n'avait pas toujours vu un homosexuel en Jordan, toutefois. C'est sa rencontre avec Karine Lemarchand qui lui avait fait prendre conscience des choses. Jordan et elle avaient croisé dans un champ la présentatrice. « T'es gay, toi, non ? », avait lancé cette dernière à Jordan qui avait démenti. Mais Karine ne se trompait jamais. Marine avait alors décidé de l'utiliser pour moderniser l'image du parti.

L'urne ou l'amour [Bardella x Attal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant