Gabrielle
Compressée dans son corset, gênée par la tournure qui accentuait la cambrure de ses reins, Gabrielle n'avait jamais éprouvé autant d'inconfort à prendre le thé. Ses insupportables faux-culs étaient d'un ridicule quand bien même leur volume avait fortement diminué ! Malgré tout, ainsi vêtue, elle se trouvait l'air d'un dindon. Il ne lui manquait plus qu'un éventail de plumes en bas du dos pour faire la roue.
Seigneur.
Et puis la superposition de ses dessous et de sa toilette, dont l'étoffe se répandait sur l'assise du fauteuil aux soieries gris perle, lui donnait des vapeurs. Même ses mains agonisaient dans la prison de leur gant. Elle ne pouvait que mourir de chaud, ainsi engoncée, par un temps pareil. Ce mois de juillet était rude, cela faisait maintenant plusieurs jours que les températures dépassaient les trente-cinq degrés...
En face d'elle, Iris du Val d'or en fine redingote de laine sombre, conversait avec sa mère.
L'envie dévorante de l'étrangler avec sa cravate pour qu'il se tût ne cessait de lui traverser l'esprit. Ou encore le souhait de le voir s'étouffer avec son breuvage.
Partagée entre l'effroi que lui insufflait l'immoralité de ses pensées et l'idée qu'il ne pouvait en être autrement devant un personnage si orgueilleux, un meurtrier, un monstre, la jeune femme demeurait plongée dans un profond mutisme depuis plusieurs minutes. Sa seule présence suffisait déjà à corrompre son âme ! Qu'adviendrait-il dès lors qu'elle partagerait son toit ?
— Quel est votre avis sur la question, Mademoiselle ? s'enquit Iris d'une voix suave qui sortit brutalement Gabrielle de sa torpeur.
— En quoi mon avis, sur quelque sujet que ce soit, pourrait-il bien vous importer, Monsieur ? rétorqua-t-elle à brûle-pourpoint sur un ton aussi mielleux que son interlocuteur, quoique chargé de venin.
Un sourire amusé vint étirer les lèvres du vicomte.
— Gabrielle ! s'offusqua la baronne, outrée par l'attitude irrévérencieuse de son aînée. Présentez vos excuses à monsieur le Vicomte sur-le-champ !
— Laissez, Madame. Votre fille ne peut qu'être bouleversée par l'imminence d'une union.
— Gabrielle a reçu une éducation des plus complète et n'ignore pas comment une jeune femme doit se tenir en société !
— Loin de moi l'idée d'en douter, Madame. Toutefois, la situation doit être déstabilisante pour elle. Cela a été très soudain...
À ce stade, ce n'est plus de la déstabilisation, mais de l'horreur, ne put s'empêcher de songer Gaby, amère. Alors qu'elle s'apprêtait à ouvrir la bouche afin de lui confirmer que, pour rien au monde, elle ne désirait se marier avec un assassin, sa mère trancha sur un ton d'avertissement :
— Vous êtes bien brave de lui chercher des excuses, cher Vicomte ; cependant, Gabrielle n'en a aucune. Mais je ne pense pas me tromper en affirmant que cela ne se reproduira pas, n'est-ce pas ?
La baronne gratifia sa fille d'un regard entendu. Si celle-ci s'avisait d'insister, la déception serait terrible pour sa mère. Aussi, décida-t-elle de se taire. Eugénie de Marcilly venait de connaître une crise d'apoplexie après le malheur qu'avait subi l'imprimerie, trois semaines plus tôt, et toute la famille avait cru la perdre. Fort heureusement, elle était sortie de cet incident sans séquelles apparentes en dépit d'une forte fatigue. Mais le médecin les avait prévenus, cela pouvait recommencer. Il fallait donc ménager les émotions de la baronne...
— Naturellement, mère, grinça Gabrielle.
Puis comme autant de lames, elle planta ses yeux aigue-marine dans les prunelles claires du vicomte. À l'expression enjouée de son vis-à-vis, elle sut qu'ils s'étaient compris. Néanmoins, la jeune femme avait espéré éveiller chez son futur mari, au pire du désintérêt, au mieux de la répulsion. Non pas une vive étincelle de curiosité. Était-il donc à ce point névrosé ?
Alors qu'elle continuait de s'interroger, un magnifique félin au long pelage blanc strié d'argent sauta sur la soie pervenche de sa jupe et s'installa sur ses genoux, en position du sphinx.
— Gabrielle, veuillez pousser ce chat, il va encore tirer des fils de votre toilette ! s'agaça faussement la baronne.
En réalité, cette dernière adorait ces fascinantes créatures autant que sa fille. Gaby n'était pas dupe, elle s'inquiétait seulement de l'avis d'Iris.
Mais face à cette scène, le sourire du vicomte revint étirer ses lèvres juste avant qu'il ne déclare à l'attention de Gabrielle :
— Vous me faites étudier ?
— Je vous demande pardon ?
— Tout homme à l'esprit aiguisé sait reconnaître auprès de la gent féline, son infériorité.
Quels drôles de propos dans la bouche d'un être aussi suffisant ! Serait-il plus humble qu'elle ne se le figurait ? Ou tentait-il de lui faire baisser sa garde sous le couvert de l'humour ?
— Rien ne saurait être plus juste que l'instinct d'un chat, rétorqua-t-elle froidement.
— Et alors, que vous dit-il ? s'enquit le vicomte avec douceur, sans prêter attention au ton glacial de la jeune femme.
Réfléchissant à sa réponse, cette dernière scruta Iris en silence, sa main caressant le crâne soyeux de Galilée.
Des cheveux châtain foncé, légèrement ondulés, des prunelles vert d'eau, un visage anguleux aux proportions idéales, le scélérat jouissait d'une apparence ô combien avantageuse. Mais Gabrielle n'allait pas se laisser berner par quelques traits harmonieux. Cet homme avait-il vraiment poussé sa femme dans l'étang ? Elle ne pourrait jamais sortir de son esprit l'idée qu'il était peut-être un meurtrier.
À cette pensée, elle se demanda à nouveau comment ses parents avaient-ils pu nourrir le projet de l'unir à lui et pire, celui de le mettre à exécution. Avaient-ils donc tous perdu la raison ?
— Il n'a pas encore tranché, déclara-t-elle d'une voix blanche.
— Alors, laissons-lui le temps d'apprendre à me connaître.
Cette dernière phrase, elle ne l'ignorait pas, lui était entièrement adressée.
Vous aussi, vous allez apprendre à me connaître, songea-t-elle.
VOUS LISEZ
Iris
RomanceGabrielle est révoltée. Ses parents, ont décidé de l'unir au vicomte Iris du Val d'or ! Héritier d'un grand patrimoine, il doit une partie de sa fortune et de sa renommée à son prestigieux vin ancestral, Le Clos des Dieux. Malheureusement, sa répu...