Chapitre 3 : Euh, c'est normal qu'ils ne vous répondent pas, ce sont des chats !

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Gabrielle

Après avoir claqué la porte dans son dos, Gabrielle s'avança vers le lit où Newton, étendu de tout son long tel un grand boudin noir et poilu, dormait à poings fermés. Il décolla la tête du drap, les yeux plissés de fatigue et fixa sa maîtresse avec un air consterné. Il semblait étonné de la voir débarquer sans son autorisation dans sa propre chambre. Elle déposa Galilée à ses côtés, mais ce dernier, contrarié de ne pas jouir du lit pour lui seul, sauta à terre et bondit sur un des fauteuils.

— Nous avons un problème de taille, commença la jeune femme.

Puis elle arpenta la pièce en leur exposant sa situation, non sans omettre la moindre pensée négative à l'encontre d'Iris. Son monologue se poursuivit un moment sous l'œil scrutateur des deux félins, plus dérangés par ses allées et venues qu'attentifs à son discours. Elle leur parla de ses vives réticences, de son effroi face à la malédiction familiale et de ce que le vicomte était peut-être capable de commettre.

— Et le plus important surtout : vous ! Est-ce qu'il vous acceptera ? S'il vous rejette, je le jure, c'est lui qui finira dans l'étang !

Le pouce et l'index sur le menton, le regard rivé sur le bout de ses bottines qui foulaient le parquet, elle continua son exercice.

— Bon à la réflexion, si jamais il sait nager cela ne solutionnera pas le problème.

Elle fit demi-tour et poursuivit sur sa lancée. Son esprit bouillonnait, rien ne semblait parvenir à l'apaiser. Puis, soudain, Gaby s'arrêta et redressa la tête :

— Non, je ne crois pas qu'il refuserait votre présence. Vous l'avez impressionné, Gali, il a reconnu votre supériorité sur lui. Et s'il vous accueille, il accueillera aussi votre frère, cela ne peut être autrement, non ? Qu'en pensez-vous ?

Elle scruta le grand chat blanc argenté qui cligna des paupières. En langage félin, cela voulait dire « oui », « tout va bien », « nous sommes amis » ou dans une moindre mesure « nous nous tolérons ».

— Newton, votre avis ? s'enquit Gabrielle avant de se tourner vers le petit mâle noir.

Sa joue était à nouveau écrasée contre le drap, ses pattes avant repliées contre sa truffe et surtout, il avait fermé les yeux. L'impertinent avait décroché. Il n'y avait plus rien à en tirer, donc.

— Bon, puisque vous n'êtes pas décidé à répondre, nous nous passerons de votre opinion.

— Euh, c'est normal qu'ils ne vous répondent pas, ce sont des chats, hein ! déclara une voix dédaigneuse dans son dos.

La chipie avait ouvert la porte sans que Gaby l'ait entendue.

— Ne dites plus un mot, l'infâme délatrice a investi les lieux ! s'exclama-t-elle avec légèreté à l'intention des deux félins.

— Je ne suis pas une délatrice ! contra Juju qui l'avait contournée afin de se placer face à elle.

— Et vous appelez cela comment, le fait de livrer votre grande sœur adorée à l'ennemi ?

Justine se mit à glousser, consciente que Gabrielle plaisantait, avant de rétorquer avec bon sens :

— Papa et maman ne sont pas des ennemis. Et puis en pratique, je ne vous ai dénoncée qu'à papa.

— Voyez, vous avouez vous-même votre crime !

— Peut-être bien. Mais j'insiste, j'ai agi pour votre intérêt. Il faut bien que quelqu'un vous raisonne !

Peste ! Cette gamine avait décidément trop de répondant. Quand bien même Justine gardait l'innocence de son âge et pouvait être très influencée ou impressionnable, Gaby reconnaissait qu'elle possédait une intelligence dans le dialogue assez frappante. Celle-là, il ne va pas trop falloir la titiller, songea-t-elle, attendrie par ce visage angélique à l'esprit un peu trop habile. En réalité, non seulement elle était épatée, mais en plus, ces joutes verbales la distrayaient on ne peut plus.

— Est-il vraiment monstrueux ? reprit Justine, la mine soudain inquiète.

Gabrielle soupira. Elle l'ignorait. Qui disait la vérité ? Ses parents, les rumeurs ? Un mélange des deux ? Quoiqu'il en soi, elle devait démentir un peu : sa sœur devait être rassurée.

— Non, pas tant que cela...

— Tant mieux. Vous m'avez fait peur, vous savez.

— Vous l'aviez mérité.

— Peut-être.

Après quelques secondes de flottement, Juju reprit :

— En tout cas, il est très élégant.

Gaby plissa les yeux, la tête légèrement penchée sur un côté.

— Comment savez-vous cela, vous ?

— Ben je vous ai regardés par la fenêtre ! lâcha la gamine, comme si cela tombait sous le sens.

— Et espionne qui plus est !

— Oh la la, vous faites vraiment tout un drame de pas grand-chose !

— Oui, voyons, il est tout à fait normal d'être observée sournoisement par ses pairs et de ne pas être autorisée à s'en plaindre.

Justine leva les yeux au ciel avec une moue lasse, comme si c'était elle l'adulte et Gaby l'enfant.

— Bon allez oust, laissez-moi, j'ai besoin d'espace et de concentration.

— Pour parler à des chats qui ne comprennent rien de ce que vous leur racontez ? Et, qui, sans vouloir vous vexer, s'en fichent éperdument !

— Du balai !

— De toute façon, j'ai mieux à faire.

Et sur ces entrefaites, l'impertinente fit demi-tour avec hauteur et se dirigea vers la sortie d'une démarche pompeuse. Une vraie duchesse ! L'envolée de mousseline rose disparue derrière la porte et Gabrielle sourit tristement en prenant soudain conscience d'une autre douloureuse réalité.

Justine allait beaucoup lui manquer.

Avant que des sentiments douloureux ne viennent l'envahir, son cerveau en ébullition décida de l'orienter sur une autre pensée.

— Oh, suis-je inconsciente !

Elle riva ses prunelles dans celles de Galilée qui n'avait pas cessé de l'observer.

— Imaginez que je vous emmène et qu'il attente à votre vie ? Je ne puis prendre un tel risque sans avoir mis le sujet à l'étude. La sécurité des enfants avant tout !

Et en guise d'approbation, le grand chat argenté cligna paresseusement des paupières.

IrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant