Chapitre 9.1 : Papa, je ne veux pas l'épouser.

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Gabrielle.

À peine arrivée au château, Gabrielle se hâta de quitter sa toilette de soie brochée rose, son corset et sa tournure, puis passa son amazone d'été en mohair noir. Enfin, elle s'empara du dernier roman de Jeanne Perrault, Héloïse.

Une caresse et un baiser pour Galilée et Newton plus tard, elle dévala les escaliers, impatiente de partager un moment avec Istanbul. Étrangement, toute trace de nausées avait disparu. Peut-être que sa mésaventure dans les vignes du vicomte avait tout à fait soulagé son estomac.

— Votre chapeau et votre ombrelle ! s'écria la baronne alors qu'elle traversait le couloir tête nue.

Stoppée dans son élan, elle poussa un soupir de frustration. La double porte grande ouverte du boudoir offrait à sa mère une vision parfaite des allées et venues dans la demeure. Cela pouvait s'avérer très contrariant. De mauvaise grâce, Gaby rebroussa chemin. Une fois coiffée de son chapeau noir orné d'un voile de gaz bleuté, elle se précipita à nouveau en direction du hall.

— Et l'ombrelle ? Et le corset ainsi que...

— À bientôt ma petite maman ! s'écria Gabrielle en se sauvant à l'extérieur.

Dès qu'elle le pouvait, elle se passait d'armatures. Hélas, cela n'arrivait bien que trop rarement. Une femme se devait d'être en constante représentation, davantage encore si elle était bien née. Plus sa position dans la société était élevée, plus le confort vestimentaire s'amenuisait. Même avec un statut privilégié, il y avait un prix à payer.

Impatiente, Gabrielle traversa le parc, son livre pressé contre son cœur, pour se rendre jusqu'au pré où Istanbul paissait. La chaleur, toujours écrasante déjà, l'étouffait.

Elle n'avait parcouru que quelques mètres lorsqu'un bruit de sabot lui parvint. Quand elle tourna la tête, elle aperçut Vulcain – l'autre cheval favori de son père – en train de galoper dans sa direction.

Décidée à faire preuve de coopération, Gaby s'arrêta et attendit que le baron la rejoigne. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, le visage aussi transpirant que l'encolure mousseuse de sa monture, il lui lança :

— Où espériez-vous vous enfuir, petite souris ?

Gabrielle roula des yeux, agacée.

— Je ne m'enfuis pas, je vais lire auprès d'Istanbul.

— Votre papa adoré se montrerait bien insouciant s'il vous permettait cette fantaisie.

— Ce n'est ni une fantaisie ni la première fois que je m'adonne à cette activité aux côtés de mon cheval !

— Certes. Entre temps, toutefois, ma petite fille chérie a tenté de prendre la poudre d'escampette. Ne serais-je pas naïf de lui accorder à nouveau ma confiance sans preuve qu'elle la mérite ?

— Je n'ai rien d'autre qu'un roman licencieux en ma possession, fit-elle remarquer.

— Votre esprit rusé a peut-être déjà tout manigancer. Et si un baluchon vous attendait dans le pré ?

— Rien ne m'att...

— Allons, je vais vous tenir compagnie un moment ! Venez !

Une moue de déception sur les lèvres, Gaby n'eut d'autre choix que d'abdiquer. Après tout, s'il avait envie de perdre son temps à ses côtés, grand bien lui fasse.

En silence, ils se dirigèrent donc jusqu'au pré d'Istanbul.

Au moment où elle remarqua enfin au loin la silhouette élancée de son cheval, dont la robe gris pommelé se détachait sur l'herbe jaunie, elle s'écria d'une voix stridente qui fit sursauter son père :

IrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant