Chapitre 8 : Tu ne vas pas te laisser maltraiter par une gamine !

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Iris

Les yeux rivés sur la toilette de soie rose qui drapait la silhouette de Gabrielle, Iris réfléchissait. La visite du Clos terminée, le groupe avait rebroussé chemin en direction du château. Il le savait, les Marcilly partiraient ensuite.

Sa future fiancée le perturbait. Le jour de leur rencontre, elle s'était montrée si mordante, presque hargneuse, qu'il n'avait décelé en elle qu'une demoiselle gâtée en proie à un énième caprice. Enfin si l'on pouvait qualifier de caprice le fait de vouloir échapper à un mariage arrangé. Cependant, Iris était bien placé pour le savoir, dans nombre de maisons, les jeunes filles ne pouvaient se permettre une telle conduite. Encore moins en présence de leurs parents. Et moins encore lors de la visite d'un très bon parti si près de s'engager.

La version plus vulnérable de Gabrielle faisait naître en lui un sentiment de culpabilité. Comme beaucoup d'hommes, il condamnait une femme à peine sortie de l'enfance à s'unir contre son gré. Plus encore, il condamnait une innocente à partager son existence avec une âme damnée.

Et son effroi à cette idée la terrorisait au point d'avoir passé les dernières heures à souffrir de nausées jusqu'à en vomir.

Parvenus devant les marches du perron, on fit appeler la voiture des Marcilly, puis on discuta le temps de son arrivée. Iris évita autant que faire se peut d'entrer en conversation avec Gabrielle ou même d'échanger ne serait-ce qu'un regard avec elle. Son esprit se trouvait en pleine confusion. Il commençait à éprouver le besoin de mettre un terme à la mascarade que constituait ce futur mariage, mais il lui suffisait de se rappeler les conséquences qui en découleraient pour rejeter cette idée.

Dire que bien avant sa première visite, les dates des fiançailles et des noces avaient été arrêtées et que Mademoiselle de Marcilly ne semblait pas en être informée. Il trouva regrettable qu'on la maintienne ainsi dans l'ignorance, mais selon les aveux de Gustave, il ne voulait pas la brusquer. Soit, après tout, il connaissait sa fille.

Enfin la voiture arriva. On se salua en se promettant de se revoir bien vite, puis Iris dut dire au revoir à Gabrielle.

— Mademoiselle.

Son ton était plus froid qu'il ne l'avait escompté. Tant pis.

— Monsieur le Vicomte, rétorqua la jeune femme avec morgue.

Ses yeux de glace se braquèrent dans les siens et le transpercèrent comme un tesson de verre. Ils étaient si limpides, si délavés qu'ils le perturbaient. Il n'avait jamais rien observé de pareil chez un être humain. À cet instant même, il eut la sensation qu'il ne parviendrait jamais vraiment à lui mentir, que chacun de ses mensonges finirait tôt ou tard par être décelé. Et cette impression le glaça.

Tu ne vas pas te laisser malmener par une gamine, songea-t-il avec agacement. Cette pensée salutaire le ramena à la raison.

Ses prunelles s'ancrèrent plus profondément dans celles de Gabrielle. À travers cet échange, il lui rendait coup pour coup. Déstabilisée, la demoiselle cilla et son expression changea. À nouveau, la peur brouilla les lignes délicates de son visage. Avait-elle vu le reflet du diable dans le miroir noir de ses pupilles ?

Elle recula d'un pas, puis se détourna sans un mot pour se glisser à l'intérieur de la voiture. Lorsqu'elle disparut dans l'habitacle, les muscles du vicomte se détendirent. Il se morigéna en silence, exaspéré de ressentir l'emprise de la tension sur lui. Il lui fallait se ressaisir de toute urgence. Ce devait être la fatigue, le travail. Sans compter qu'à cette période de l'année, les vendanges étaient aussi proches que lointaines. Il suffisait d'un orage de grêle pour tout perdre, que la pluie s'invite pour faire pourrir le raisin. Une fois les grappes cueillies et pressées, les nerfs s'apaisaient. Enfin, si la récolte était bonne, évidemment.

Et puis la situation actuelle le replongeait plus profondément dans ce douloureux passé qu'il se refusait à oublier. C'était là sa sentence, il l'avait acceptée. Elle lui était même nécessaire. Sans cette juste punition, aurait-il pu encore supporter son existence ?

Cinq ans et demi auparavant, alors qu'il courtisait Angeline de Montrachet avec ferveur, il n'imaginait pas que le futur se montrerait aussi cruel. Il n'avait pas conscience de la part sombre tapie en lui, cette bête en sommeil appelée par le sang, impatiente de se révéler au monde. À l'instant où elle s'était dévoilée, la Terre avait comme basculé sur son axe. Un morceau de son âme s'était flétri et depuis, la pourriture se propageait lentement à travers tout son être, grignotant un peu plus chaque jour, ce qui demeurait de sain en lui.

La porte de la voiture claqua puis l'ordre du cocher s'éleva dans les airs. Les deux chevaux s'élancèrent sur le chemin et emmenèrent loin de lui, cette étrangère qui bientôt partagerait sa vie.

— Je l'apprécie beaucoup, déclara Violette d'une voix enjouée.

— Vraiment ? grogna Iris qui avait espéré le contraire.

Pourtant, il avait constaté combien sa sœur s'animait aux côtés de la jeune femme. Sa présence paraissait insuffler un peu de vigueur dans son cœur tourmenté.

— Oui, malgré son état, elle a montré de l'intérêt pour toute chose et elle semble avoir beaucoup d'esprit. Et puis, je la trouve très jolie.

— Content qu'elle soit à votre goût.

— Elle ne vous plaît pas ? s'étonna Violette.

— Non.

Une moue déçue se dessina sur les lèvres rosées de sa cadette.

— Vous êtes bien difficile ! le tança-t-elle.

— Exigent, corrigea Iris.

Après l'avoir considéré avec sévérité, elle conclut :

— Eh bien si Mademoiselle de Marcilly ne répond pas à vos hautes exigences, vous n'avez qu'à renoncer à ces noces !

Et sur ces dernières paroles, elle retourna auprès de ses roses et de ses deux stupides paons qui hurlaient « Léon ! » tout le printemps alors qu'il n'y avait même plus une femelle à conquérir au sein du parc.

L'humeur assombrie, Iris s'engouffra d'un pas vif dans le hall. Tandis qu'il gravissait les escaliers, les rouages de son imagination se mirent en branle. Des fils se reliaient les uns aux autres, des intrigues prenaient vie, d'autres mouraient. Le plan n'était qu'à ses prémices. Il fallait réfléchir au moindre détail, que chaque élément s'emboîte à la perfection. Une erreur, aussi petite soit-elle, possédait l'incroyable pouvoir de tout compromettre. Mais Iris savait combien l'esprit humain pouvait être faillible. On avait beau penser le projet, le décortiquer, l'analyser, envisager les possibilités et anticiper les problèmes...

Il y avait toujours quelque chose qui nous échappait.

C'était un peu comme la vie, en somme. On s'évertuait à construire un avenir idéal, on continuait à faire prospérer le domaine, on tâchait de satisfaire nos parents, on se mariait, on désirait des enfants.

Puis le mal noir frappait vos vignes et laissait planer son ombre menaçante sur la seule qui était encore épargnée, vos parents et votre femme mouraient par votre faute, vos enfants périssaient avant même d'avoir existé.

Hélas, peu de choses se passaient véritablement ainsi que vous les aviez imaginées. Et pour ne rien adoucir, la plupart du temps, vous en étiez plus ou moins responsable.


*



Coucou,

J'espère que vous allez bien et que vous passez un bon moment avec Iris. 

Je voulais en profiter pour vous remercier de lire cette histoire, de voter, commenter. Ça me fait plaisir de lire vos impressions et c'est très motivant pour la suite !

À bientôt,

Bises,

Maud 


IrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant