L'Ombre d'Alyia - Tome 2

Chapitre 13

Il y a bien bien longtemps...

Nilaja

            Nilaja savait qu'elle aurait dû être avec tous les autres à s'amuser, à boire, à danser et à rire, mais ce soir, elle n'y arrivait pas. Elle sirotait son verre d'alcool, adossée à une des immenses colonnes blanches qui ornaient le Palais. En contrebas, dans les jardins du Palais, les siens festoyaient.

            Elle les regardait, un sourire nostalgique sur les lèvres. Il n'y avait cependant aucune raison d'être nostalgique. Leur monde était à son âge d'or. La Cité d'Opale avait été achevée – si l'on pouvait vraiment achevée une œuvre pareille avec à sa tête des gens aux idées toujours nouvelles – et elle prospérait sous le soleil brulant du désert. Ils étaient protégés ici, les pouvoirs colossaux de Vareck et d'Ea entourant leur cité et les alentours d'un voile brumeux, les séparant des humains aux mauvaises intentions. Des Vessoryias et des humains triés sur le volet œuvraient main dans la main dans leur cité éternelle. Ils avaient réussi à faire mieux que Babel, leur première œuvre et leur premier échec. Ici, ils ne comptaient pas refaire les mêmes erreurs.

            Il n'y avait donc pas de raisons d'être nostalgique, l'avenir était devant eux, et pourtant... Nilaja savait que cela ne durerait pas, que cette entente entre eux prendrait bientôt fin. Elle savait ce qu'elle avait à faire, elle savait que c'était la meilleure solution pour le monde entier, pourtant, elle regrettait de devoir trahir certains êtres qu'elle aimait. Automatiquement ces yeux se posèrent sur Ariane. Son amie riait, ses yeux sombres brillaient comme de l'obsidienne et faisait ressortir la pâleur de sa peau. Elle avait récemment coupé court ses cheveux blonds, qu'elle avait coiffés ce soir vers l'arrière, offrant son magnifique visage à la splendeur de la nuit. Elle discutait avec Hérihor, et tout deux semblaient si heureux que cela ne fit qu'empirer le sentiment de culpabilité de Nilaja. Son ventre se serra. Elle aimait Ariane comme une sœur, hélas, elle ne partageait pas les mêmes points de vue sur la gestion de la cité. Elles n'avaient pas les mêmes idéaux, les mêmes rêves. Les deux femmes n'avaient pas le même mentor. L'une aurait tout fait pour Vareck, l'autre pour Ea.

Comme si cela reflétait leur personnalité, Vareck et Ea étaient chacun à l'opposé du jardin. Le véritable maitre de la Cité d'Opale discutait tranquillement avec des humains très puissants de la Cité. Nilaja savait que Vareck ne les appréciait pas particulièrement, elle savait aussi qu'il était certainement en train de les rallier doucement, insidieusement, à sa cause. Ainsi était Vareck, chaque évènement était une occasion d'avancer ses pions. Quant à Ea, elle discutait tranquillement avec Alrik, sa peau sombre paraissait comme s'animer de volutes ténébreuses sous les torches qui bordaient le jardin. Nilaja voyait d'ici ses yeux ambrés pétiller d'intelligence et de vivacité. Elle portait une longue robe blanche et argent, ses longs cheveux noirs cascadaient librement dans son dos. Elle rayonnait, et Alrik, avec ses yeux noisette fixés sur elle, semblait l'avoir bien remarqué lui aussi.

            Nilaja laissa son regard errer sur les visages des gens qu'elle aimait le plus en ce monde. De Dana à sa chevelure de neige, à Jetsun et ses longs cheveux noirs si peu typiques des hommes de ce siècle, à Tibérius et son rire communiquant, à Issa et à sa peau aussi noire que la nuit de ce soir... Ils avaient tous revêtu de nombreuses identités au travers des siècles, mais ils avaient toujours su qu'ils seraient toujours là, à se connaitre les uns les autres sous leur identité véritable.

— On n'a pas le cœur à la fête, Nila ? murmura soudain une voix près d'elle.

Nilaja ne put s'empêcher de sourire. Elle l'avait entendu venir, mais elle savait à quel point la prendre au dépourvu lui faisait plaisir.

— Peut-être qu'après des siècles de fête, je me suis lassée, répondit-elle en levant les yeux vers son interlocuteur.

Valion lui rendit son regard, une lueur espiègle au fond de ses yeux sombres.