𝟖. 𝐒𝐎𝐒

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Nous sommes installés à table depuis plusieurs minutes, mais j'ai du mal à suivre les conversations.

— Ce n'est pas ce que je dis, s'agace ma mère à je ne sais quelle remarque. C'est juste que l'obésité est une maladie. On peut parfois admettre que c'est dangereux pour la santé sans forcément se faire traiter de grossophobe à chaque fois qu'on ouvre la bouche.

— Déjà, rétorque Isa, si chacun s'occupait de son cul, la société irait beaucoup mieux.

Basile se marre et acquiesce discrètement avant de boire une gorgée d'eau. Thomas, installé en face, le dévisage étrangement. Ça fait plusieurs fois que je le surprends à l'observer à la dérobée, et j'espère que mon « partenaire » ne s'en rend pas compte. Personnellement, ça me mettrait très mal à l'aise.

Et puisque tout le monde autour de cette table est bien trop silencieux, ma mère en profite pour en rajouter une couche :

— C'est mal d'avoir un autre regard sur la société que celui qu'on veut nous imposer ?

— Non, mais ton esprit trop critique te rend aigrie, maman. Essaie juste de vivre un peu pour toi.

— Excuse-moi si je m'inquiète de voir ce que devient le monde dans lequel mes petits-enfants vont grandir. C'est quoi ces modes de vouloir changer de genre, d'être bisexuel ou de vendre l'eau de son bain ? Sérieusement, ça me fait peur, tout ça ! Il n'y a plus aucune limite !

Heureusement, l'entrée nous est servie avant que ma sœur ne puisse lui envoyer une autre pique bien sentie. Maman a toujours été comme ça. Elle n'a pas un mauvais fond ; elle est juste un peu coincée. Et vieux jeu. L'avantage, c'est que ça évite qu'elles s'intéressent trop à moi et ma nouvelle – fausse – relation...

Évidemment, avant même d'entamer le plat principal, l'interrogatoire commence. C'est Isabelle qui s'y colle.

— Alors, Basile... Vous faites quoi dans la vie ?

— Je suis entraîneur.

— Oh, un sportif ! s'enthousiasme ma mère. Dans quel domaine ?

Il ne répond pas, mais ses prunelles insistantes me percutent. J'y lis un SOS que je devine aussi flagrant pour les autres. Je ne comprends pas pourquoi ça l'angoisse à ce point de parler boulot, mais manifestement, c'est là encore un sujet qu'il ne tient pas à aborder.

— Maman, tu prends encore un peu de vin ? m'immiscé-je dans la conversation pour tenter de la détourner.

— Oui, je veux bien, merci !

J'en profite pour resservir tout le monde de ce délicieux Pinot noir, ce qui nous fait gagner quoi, une petite minute de silence, et remplis mon verre au passage. À peine ai-je reposé la bouteille au centre de la table, je réalise qu'elle n'est pas bien stabilisée. Elle bascule. Je vois toute ma vie défiler devant mes yeux avant de constater les dégâts sur la nappe. Sur mes genoux. Sur ma robe hors de prix.

Une robe qui n'est même pas la mienne.

— Oh merde ! Non non non !

Je me lève d'un bond, attrape un tas de serviettes pour éponger toute cette misère qui recouvre le satin souillé. Le tissu immaculé devient bordeaux, de ma cuisse jusqu'à mes pieds. J'ai envie de pleurer. Hurler. Mourir.

— De l'eau gazeuse ! s'écrie la mariée. Il faut en mettre avant que la tache ne soit trop incrustée.

— Quelle bonne idée, ironisé-je en frottant plus fort, après le vin, je n'ai qu'à m'asperger de San Pellegrino ! Est-ce que tu sais combien coûte cette robe, Isa ?

Summer RainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant