𝓑𝓪𝓼𝓲𝓵𝓮.
Il fait plutôt doux ce soir. La nuée de frissons qui parcourt mon échine n'est pas due à la température, mais bien à l'ambiance glaciale qui règne ici. La gare de Lormont n'a pourtant rien d'un film d'horreur : un groupe de jeunes s'est donné rendez-vous sur le parking pour une petite fête improvisée, tandis qu'une petite dizaine de voyageurs nocturnes s'agglutinent un peu plus loin, quai numéro 1. Et c'est précisément ce spectacle étrange qui m'obnubile totalement, me tord les tripes tandis que je me précipite vers eux.
Mon cœur s'écrase au fond de ma poitrine, aussi douloureusement que mon regard tombe dans celui de mon mec, titubant sur les rails, une bouteille de vodka presque vide à la main.
À sa voix dans le combiné, je savais que quelque chose n'allait pas. Je le connais depuis assez longtemps pour déceler la moindre nuance de son timbre. Je subis ses sautes d'humeur et sa dépendance affective depuis plus de cinq ans... Malheureusement, j'arrive à bout de force et de patience.
— Andrea ! Mais qu'est-ce que tu fous ?
— Ooooh, mais c'est le grand Basile Gauthier qui nous honore de sa présence ! se marre-t-il en manquant de perdre l'équilibre. À ton avis ? J'attends le train, comme tout le monde.
— Arrête tes conneries et remonte sur le quai, lui sommé-je sans me laisser happer par cette anxiété qui me grignote déjà les intestins.
— Pourquoi ? Ça va servir à quoi ? Tu vas me quitter, non ? Je ne suis rien sans toi, alors autant en finir tout de suite.
Les murmures s'amplifient autour de moi. Je distingue aussi quelques téléphones qui ne manquent pas de filmer toute la scène. Mon regard scrute avidement les alentours, à la recherche d'une échappatoire ou simplement d'une preuve que tout ceci n'est qu'un sombre cauchemar. Mais rien. Quelques bancs désertés par les curieux, des kilomètres de béton granuleux et une horloge, martelant les secondes comme pour me narguer, me prouver qu'une fois encore, je ne contrôle plus rien. La rage bouillonne dans mon estomac, prête à être expulsée par mes mots, mes poings ; n'importe quoi. Mais je déteste me donner en spectacle, alors je tente de la contenir comme je peux.
— Allez viens, on va en parler tranquillement à la maison, insisté-je, le plus calmement possible.
— Laisse-moi crever ici ! C'est tout ce que je mérite.
— Le prochain train ne roulera pas assez vite pour te tuer. Au mieux, tu finiras en fauteuil roulant, tenté-je pour le convaincre. Donc tu peux soit rester ici à t'apitoyer sur ton sort, soit me rejoindre dans la voiture pour discuter. T'as dix secondes pour te décider Andrea, après ça je me casse.
Je fais volte-face sans lui laisser le temps d'argumenter. De toute façon, à l'annonce monocorde qui notifie l'arrivée du prochain train en gare, du temps, on n'en a pas. C'est quitte ou double, même si j'espère au plus profond de moi que son comportement n'est qu'un appel au secours ; le seul moyen trouvé pour attirer mon attention. Le pire, c'est que ça fonctionne.
J'ai à peine le temps de me maudire, me demander comment je peux le laisser me mener à la baguette depuis si longtemps, que j'entends des pas lourds et désordonnés résonner juste derrière moi. Mon palpitant inquiet est alors étouffé par toute la colère qu'il m'inspire. Il ne peut pas me faire ça. Il n'a pas le droit !
Silencieux, il s'installe sur le siège passager tandis que je mets le contact, muré moi aussi dans un mutisme qui en dit long. La bile inonde ma gorge, le sang cogne contre mes veines apparentes mais tout est contenu. Parfaitement maîtrisé. Comme toujours.
— Je... suis désolé, exhale-t-il après deux longs soupirs.
Je ne réponds pas. Je n'y arrive pas. Je crains ne plus pouvoir me canaliser si je laisse ne serait-ce qu'un souffle traverser la barrière de mes lèvres. Ainsi, le reste du trajet n'est ponctué que d'un léger vrombissement du moteur et du crissement de sa ceinture sur le cuir lorsqu'il se tord de malaise dans son siège.
Ouais, moi aussi j'ai envie d'ouvrir cette portière et de te balancer dehors à grands coups de pied au cul !
J'ai hésité entre le ramener chez lui ou l'emmener chez moi. Le fait que nous n'habitons pas ensemble est très révélateur de ce qui nous oppose : absolument tout. Ce n'est pas faute d'avoir essayé, pourtant. Mais son rythme de vie n'est pas compatible avec le mien. Il ne l'a jamais été, et même si j'ai longtemps espéré qu'on parviendrait à trouver un équilibre, je me suis vite rendu à l'évidence : il ne le sera probablement jamais.
C'est donc au pied de son immeuble que je me gare, sors en trombe de la voiture, Andrea sur mes talons, et tape le code de l'entrée. Mes doigts tremblent, mes jambes manquent défaillir à la deuxième marche. Je ne veux pas prendre l'ascenseur. Je veux bouger, sentir chaque muscle de mon corps se contracter, chaque pulsation m'éclater les côtes ; me prouver que je possède encore un semblant de self-control, même s'il me faut puiser dans mes réserves pour ça.
Avant de parvenir à ouvrir la porte, je fais tomber mon trousseau de clés. Deux fois.
— Putain, mais c'est pas vrai !
Ce qui m'aurait fait marrer dans d'autres circonstances me met carrément les nerfs à vif. J'apprécie néanmoins qu'Andrea se tienne à carreau durant ce laps de temps, histoire de me laisser gérer au mieux toute la merde qui bouillonne dans mon estomac. Du coin de l'œil, je l'observe passer ses doigts dans ses cheveux mi-longs qu'il avait jusqu'ici noués à la va-vite, avant de se frotter longuement le visage.
Je parcours prestement la pièce à vivre à laquelle j'ai enfin accès pour finir ma course à la cuisine. Comme un besoin de m'éloigner de lui, de me soustraire à cette rage que je peine à réfréner. Agrippé au rebord du plan de travail clair, le regard rivé au mobilier blanc, mais perdu dans le vague, je sens ma respiration devenir chaotique. J'essaie de relâcher la pression, mais sa main qui se pose tendrement sur mon épaule anéantit tous mes efforts.
Je me retourne, hors de moi, saisis le col de son polo vert griffé Ralph Lauren et le plaque brutalement contre le réfrigérateur. Il se laisse faire, surpris mais docile. Je le domine d'une bonne tête – de quelques bons kilos de muscles, aussi. Tout se brouille. La tempête qui sévit dans mon crâne et ma poitrine prend possession de tout mon être. Je ne suis même plus capable de réfléchir, juste ressentir la fureur, l'incompréhension, la terreur.
— Ne me refais plus jamais ça ! m'époumoné-je en resserrant ma prise. T'entends ? Jamais !
Je le toise pendant ce qu'il semble être une éternité. Le feu crépite, me consume, et son regard teinté de regrets n'arrange en rien mon état.
— Pardon, bébé... souffle-t-il désespéré, ses mains s'accrochant aux miennes. Pardon...
La situation m'échappe tandis qu'il approche son visage du mien et capture mes lèvres sans douceur. Je ne le repousse pas, au contraire. Je réponds à son baiser avec autant d'ardeur, de brutalité, lui arrachant un cri de douleur lorsque mes dents s'enfoncent dans sa chair. Je ne sais plus exactement ce que je veux, là, tout de suite. C'est un combat entre ma tête et mon corps que je suis incapable de mener. Alors, je me laisse aller. Je consens à ce qu'il me touche, ses doigts nerveux s'agitant sur la boucle de ma ceinture et sa langue habile dans mon cou. Droit au but, il me connaît bien. J'ai besoin d'évacuer. Le stress, la colère, la peur. La frustration aussi. Je n'explique pas cette dernière, qui surgit sans que je n'en comprenne les motivations. Plus surprenant encore, elle dévore chacune de mes cellules à mesure que j'en prends conscience. C'est comme un putain de torrent de lave en fusion qui coule dans mes veines, le long de ma colonne vertébrale et jusqu'au point culminant d'un désir que je ne maîtrise pas.
J'ai besoin de reprendre le contrôle. Je reconnais à peine le son de ma voix lorsque je lui ordonne de se soumettre à ma bonne volonté :
— À genoux.
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Summer Rain
Romance𝐈𝐥 𝐧'𝐢𝐦𝐚𝐠𝐢𝐧𝐚𝐢𝐭 𝐩𝐚𝐬 𝐥𝐞 𝐜𝐡𝐚𝐨𝐬 𝐪𝐮𝐞 𝐩𝐫𝐨𝐯𝐨𝐪𝐮𝐞𝐫𝐚𝐢𝐭 𝐬𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐦𝐢𝐧𝐠 𝐨𝐮𝐭. 𝐄𝐧𝐜𝐨𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐧𝐬 𝐪𝐮'𝐮𝐧𝐞 𝐟𝐞𝐦𝐦𝐞 𝐫𝐞𝐦𝐞𝐭𝐭𝐫𝐚𝐢𝐭 𝐭𝐨𝐮𝐭 𝐞𝐧 𝐪𝐮𝐞𝐬𝐭𝐢𝐨𝐧. La malchance chronique de Léah n'a jama...