Chapitre 23

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La forêt dense, qui avait autrefois été un refuge pour Elysia et les siens, était désormais assaillie par le chaos. La lune, pâle spectatrice, jetait une lumière spectrale sur les arbres, illuminant par intermittence les silhouettes des soldats en armure sombre, qui se faufilaient parmi les ombres. L'air était lourd, chargé d'une tension palpable alors que Kalean menait ses troupes à l'assaut du campement des rebelles.

Elysia, encore affaiblie par ses blessures récentes, s'efforçait de se tenir debout, son épée tremblante dans sa main. Chaque pas était une épreuve, chaque respiration une douleur. Elle savait qu'elle n'était pas en état de combattre, mais l'idée de rester en retrait, de ne rien faire alors que ses alliés se battaient et mouraient, lui était insupportable.

Thorian, son père, avait anticipé l'arrivée de l'ennemi. Le regard vif malgré les années, il était en alerte, prêt à défendre sa fille jusqu'au bout. Il se tourna vers elle, son visage marqué par une inquiétude qu'il peinait à dissimuler.

« Elysia, tu ne peux pas rester ici, » dit-il d'une voix ferme, mais empreinte de douceur. « Tu es encore trop faible pour combattre. Laisse-moi te mettre en sécurité. »

Elysia secoua la tête, la frustration brûlant dans ses veines. « Je ne peux pas fuir, papa. Je ne peux pas les abandonner... t'abandonner. »

Thorian posa une main réconfortante sur son épaule, ses yeux clairs ancrés dans ceux de sa fille. « Parfois, la retraite n'est pas un signe de faiblesse, mais une stratégie pour survivre et se battre un autre jour. Écoute-moi. Tu dois vivre, pour que le sacrifice de ta mère n'ait pas été en vain. »

Les sons des combats se rapprochaient, les cris des hommes se mêlant aux bruits métalliques des épées s'entrechoquant. Thorian jeta un coup d'œil rapide autour de lui, repérant une clairière à l'écart des affrontements.

« Viens, » murmura-t-il avec urgence, l'attrapant par le bras pour la guider. Ils se frayèrent un chemin à travers les arbres, luttant pour échapper aux soldats ennemis qui se dispersaient de toutes parts.

Mais alors qu'ils atteignaient la clairière, une ombre imposante se dressa devant eux. Kalean, l'armure étincelante sous la lumière de la lune, les attendait, son épée à la main. Son visage était figé dans une expression de détermination glaciale, mais ses yeux, lorsqu'ils se posèrent sur sa sœur, trahirent un instant d'hésitation.

« Kalean, » murmura Elysia, sa voix chargée de douleur et de déception. Elle ne pouvait croire que cet homme devant elle, ce chevalier redouté par tous, était autrefois le frère aimant qu'elle avait connu.

« Elysia... » répondit Kalean, mais son ton était froid, comme s'il essayait de se convaincre lui-même de ce qu'il s'apprêtait à faire.

Thorian, serrant son épée dans sa main, s'interposa entre son fils et sa fille. « Laisse-la partir, Kalean. Tu n'as pas besoin de faire ça. »

Kalean baissa légèrement son arme, la tension visible dans ses traits. « Je dois le faire, père. Pour le royaume. Pour... pour mon fils. »

Thorian haussa les sourcils, l'ombre d'un sourire triste aux lèvres. « Ton fils n'aurait pas voulu ça, Kalean. Il n'aurait pas voulu que son père devienne l'homme qui détruit sa propre famille. »

Kalean serra les dents, luttant contre les doutes qui se bousculaient dans son esprit. Mais les mots de Seraphina, son regard, son emprise sur lui, étaient trop puissants. Il ne pouvait pas faillir maintenant. Pas après tout ce qu'il avait déjà sacrifié.

« Elysia, » dit Thorian d'une voix qui ne laissait place à aucune contestation, « cours. Maintenant. »

« Mais, père... » protesta Elysia, le cœur déchiré par l'idée de l'abandonner.

« Cours ! » rugit Thorian, sa voix vibrante d'autorité.

Elysia hésita une fraction de seconde de plus avant de tourner les talons et de s'élancer à travers les arbres. Derrière elle, elle entendit le choc métallique des épées, le son de son père engageant le combat avec Kalean. Chaque pas l'éloignait un peu plus des horreurs qui se déroulaient, mais elle savait, au fond d'elle, qu'elle ne fuyait pas seulement les soldats. Elle fuyait la réalité, la douleur insupportable de ce qu'elle perdait à nouveau.

Thorian, malgré ses années d'expérience, trouvait en Kalean un adversaire redoutable. Le jeune homme, emporté par la rage et la confusion, attaquait avec une force brutale, ses coups précis et implacables. Thorian parait chaque assaut, ses muscles tendus, mais il sentait que ses forces commençaient à l'abandonner.

« Tu étais censé être un protecteur, Kalean, » dit Thorian entre deux parades, sa voix marquée par la déception. « Pas un bourreau. »

« Je fais ce que je dois faire, » rétorqua Kalean, mais sa voix manquait de conviction.

Le combat continua, violent et désespéré. Mais Thorian savait qu'il ne pourrait pas tenir éternellement. Il encaissa un coup puissant qui le fit vaciller, mais il se redressa, refusant de céder.

Finalement, dans un ultime échange, Kalean parvint à percer la défense de son père. L'épée de Thorian glissa sur le sol, et Kalean, dans un mouvement presque automatique, plongea sa lame dans le corps de son père. Le temps sembla se figer alors que Thorian s'effondrait, un soupir mourant sur ses lèvres.

Kalean resta figé, l'esprit assailli par un tourbillon de chagrin et de remords. Son père était là, à ses pieds, l'homme qui l'avait formé, l'homme qui avait toujours été son modèle. Et c'était lui qui l'avait tué.

Seraphina avait raison, pensa-t-il dans une tentative désespérée de se convaincre. Il n'avait pas eu le choix. Mais cette pensée ne faisait rien pour apaiser la douleur qui déchirait son cœur.

Le camp des rebelles fut bientôt réduit à néant. Les flammes léchaient les tentes et les arbres, le crépitement du feu se mêlant aux cris des mourants. Kalean, le regard vide, observa le chaos autour de lui, sentant que tout ce pour quoi il avait combattu s'était effondré dans un abîme de souffrance.

Elysia, de son côté, avait couru aussi loin que ses forces le lui permettaient. Finalement, épuisée et le corps douloureux, elle trouva refuge dans un abri naturel, une petite caverne cachée derrière une cascade. Elle s'effondra contre la paroi humide, le souffle coupé, son corps secoué de sanglots incontrôlables.

Tout était perdu. Sa mère, maintenant son père, et tous ceux qui avaient cru en eux. Leurs rêves de justice, leurs espoirs de liberté, tout avait été anéanti par la folie de Seraphina et la dévotion aveugle de Kalean.

Elle enfouit son visage dans ses mains, les larmes coulant librement, laissant enfin la douleur l'envahir. Dans cet instant de désespoir absolu, Elysia se laissa aller à son chagrin, consciente que rien ne serait plus jamais comme avant. Le monde qu'elle avait connu était en cendres, et elle était seule au milieu des ruines.

Mais même dans cette obscurité, une flamme persistait en elle, une flamme nourrie par la mémoire de ses parents, par l'amour qu'ils lui avaient donné, par le sacrifice qu'ils avaient fait. Elysia savait qu'elle ne pouvait pas abandonner. Pas encore. Pas tant qu'elle respirait encore.

Elle essuya ses larmes d'un geste tremblant, et une nouvelle détermination commença à germer en elle. Le temps du deuil viendrait, mais maintenant, elle devait survivre. Pour ses parents. Pour ceux qui avaient cru en elle. Et pour la promesse qu'elle s'était faite, de mettre fin au règne de terreur de Seraphina.

Alors qu'elle se redressait lentement, Elysia jura intérieurement que, peu importe le prix à payer, elle trouverait un moyen de détruire ce mal qui avait ravagé sa vie. Elle se battrait, seule s'il le fallait, jusqu'à son dernier souffle.


Les Ombres de ValoriaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant