Chapitre 1 Seraphena

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Je regardais les papiers étalés sur le bureau, mes mains tremblaient légèrement. Les chiffres, sévères et implacables, me rappelaient la dure réalité. Les dettes s'étaient accumulées, et notre fortune, autrefois source de fierté, n'était plus qu'un lointain souvenir. La voix grave de mon père résonnait encore dans ma tête :  Nous n'avons pas d'autre choix, Seraphena.

Ces mots, comme un couperet, me ramenaient sans cesse à notre situation désespérée. Mon esprit tentait de se rebeller, de trouver une solution alternative, mais rien n'efface le fait que j'étais la seule à pouvoir aider. Et ce sacrifice impliquait un prix bien plus élevé que je n'étais prête à payer.

—  Pourquoi moi ?  murmure ai-je, le souffle coupé.

Les chiffres dansaient devant mes yeux, se moquant de mes hésitations. Comment en sommes-nous arrivés là ? Je me souviens des jours où nous vivions dans l'opulence, des fêtes somptueuses, des robes de soie et des éclats de rire. Maintenant, tout ce qui nous restait, c'était un nom autrefois respecté, désormais terni par les dettes et le désespoir.

Ma mère entra dans la pièce, interrompant mes pensées. Elle s'avança lentement, son visage marqué par les soucis et les nuits blanches. Ses yeux, jadis brillants d'une douce lumière, semblaient maintenant éteints. Elle posa une main rassurante sur mon épaule, une maigre tentative de me transmettre sa force.

—  Seraphena, tu sais que c'est le seul moyen, dit-elle d'une voix douce mais ferme.

Son ton ne laissait pas de place à la discussion, bien que je sache qu'elle souffrait autant que moi. Ce mariage arrangé, une solution désespérée pour sauver notre famille, semblait aussi insensé que cruel. Et pourtant, en plongeant mon regard dans celui de ma mère, je vis toute la douleur et l'angoisse qu'elle portait.

—  Tu te rends compte de ce que cela signifie, n'est-ce pas ?  demandai-je, la voix brisée par l'émotion.

Elle hocha la tête, son visage se durcissant légèrement.
- Je comprends, ma chérie. Mais nous n'avons pas le choix. Damon Sangies a les moyens de nous aider, et il est prêt à le faire.

Damon Sangies. Un nom qui avait surgi dans nos vies sans prévenir, chargé de mystère et de pouvoir. Je ne connaissais presque rien de lui, si ce n'est qu'il appartenait à une famille influente et redoutée, avec des affaires aussi prospères que énigmatiques. Son apparence, comme un écho de l'arrogance que lui prêtait la rumeur, me semblait distante et froide, bien loin de l'idée que je me faisais du mariage.

—  la n'est pas question d'amour, Seraphena, poursuivit ma mère, comme si elle pouvait lire mes pensées. C'est une alliance. Rien de plus.

Je détournai le regard, fixant un point invisible sur le mur. Une alliance... Comme si cela rendait la chose plus supportable. Épouser un homme que je connaissais à peine, un homme qui, d'après les rares informations que j'avais, n'était ni doux ni avenant. Ce n'était pas ce dont j'avais rêvé.

Les souvenirs de ma jeunesse resurgissent, des rêves de liberté et de passion qui, désormais, semblaient aussi fragiles que des bulles de savon. Avais-je seulement le droit de rêver ?

—  Et si je refuse ? ai-je demandé, une lueur d'espoir vacillant encore dans mon cœur.

Ma mère ferma les yeux, et je pus voir ses lèvres trembler légèrement avant qu'elle ne reprenne contenance.
- Si tu refuses, nous perdrons tout. La maison, nos terres... même l'honneur de notre nom. Ce mariage est notre unique espoir, Seraphena. Je n'ai pas le droit de te l'imposer, mais...

Elle ne termina pas sa phrase, mais le silence qui suivit parlait pour elle. Ce n'était pas un choix, c'était un ultimatum.

Un poids écrasant s'abattit sur mes épaules. Comment en étais-je arrivée là ? À devoir choisir entre le bonheur et le devoir, entre mes désirs et les sacrifices nécessaires pour sauver ce qui restait de notre famille. Était-ce là mon destin ? Une pièce dans un jeu d'échecs où je n'avais aucune prise sur le prochain mouvement ?

Je me levai, quittant la pièce sans un mot, mes pensées tourbillonnant comme des feuilles emportées par le vent. Les couloirs du manoir me semblaient désormais oppressants, chaque pas résonnant comme un écho de la vie que je m'apprêtais à abandonner.

En traversant le jardin, je me dirigeais vers notre roseraie, le seul endroit où je trouvais encore un semblant de paix. Les roses, fières et majestueuses, ne semblaient pas affectées par nos malheurs. Elles fleurissaient, indifférentes à nos soucis, portant en elles un éclat de vie que je sentais s'éteindre en moi.

Je me laissai tomber sur le banc de pierre, mes mains se refermant instinctivement sur les pétales d'une rose. Était-ce de cette manière que j'allais être épanouie, pour ensuite être coupée, fanée, sacrifiée pour le bien d'un autre ? Le sacrifice m'apparaissait brutal, cruel même, mais il me semblait que je n'avais pas d'autre choix.

Les minutes s'étiraient, et je sentais mon cœur se durcir. J'avais beau vouloir résister, je savais que j'allais accepter. Pas par faiblesse, mais par amour pour ma famille, par sens du devoir. Le vent frais du soir s'infiltre dans mes vêtements, m'arrachant un frisson. Une dernière larme coula sur ma joue, marquant la fin de mes illusions.

Je me suis redressée, déterminée. Si j'allais épouser Damon Sangies, alors je le ferais en tenant tête à mon destin. Ma vie ne m'appartient plus, mais je pouvais encore décider de la manière dont j'allais l'affronter.

Avec un dernier regard vers la roseraie, je me dirigeai vers la maison, prête à faire face à ce que l'avenir me réservait.

Les sœurs Belcourt. Tom 1 Promesse amèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant