Chapitre 3 Seraphena

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Je ne le ferai pas. Je ne l'accepterai pas. Ces mots tournaient en boucle dans ma tête, comme un mantra, alors que je traversais les rues pour rentrer chez moi. Le souvenir de notre rencontre me revenait sans cesse, ses paroles froides et distantes, sa manière de se tenir droit et impassible, comme si rien de tout cela ne le concernait vraiment. Comment pouvait-il être aussi insensible ? Comme si le destin que nous étions en train de sceller n'avait aucune importance. Je sentais la colère bouillonner en moi, prête à exploser à tout moment.

De retour dans ma chambre, je laissai échapper un cri de frustration, comme si cela pouvait me libérer du poids qui écrasait mon cœur. Les murs silencieux renvoyèrent mon écho, amplifiant ma solitude. Je fis les cent pas, essayant de calmer mon esprit. L’image de Damon Sangies, son visage fermé, son regard calculateur, ne cessait de me hanter.

—  Comment peut-on envisager de vivre avec un tel homme ?  m’indignai-je à haute voix, en serrant les poings.

J’avais affronté de nombreuses situations difficiles, mais rien ne m’avait préparée à cela. Je m’étais toujours imaginée capable de choisir mon propre chemin, de décider de ma vie. Et maintenant, voilà que je me retrouvais prisonnière d’un contrat que je n’avais pas voulu, d’une union avec un homme qui semblait n’éprouver aucune émotion.

Assise sur le bord de mon lit, je fermai les yeux, cherchant en vain un moment de paix. Pourtant, l’image de mon père, affaibli par la maladie et les soucis, me revenait sans cesse. Je le voyais, assis dans son fauteuil, les épaules voûtées, comme écrasé par le poids de la déchéance. Il n’était plus l’homme fier et fort que j’avais connu autrefois. Ce mariage, si douloureux qu’il soit, était peut-être le seul moyen de lui rendre sa dignité.

— Est-ce donc cela, ma destinée ? murmurais-je, le cœur lourd.

Mais la pensée de Damon me faisait frémir. Était-il réellement impitoyable, ou bien cachait-il simplement ses propres faiblesses derrière un masque de froideur ? Je n’avais vu dans ses yeux aucune trace d’humanité, aucune étincelle d’empathie. Pour lui, je n’étais qu’une pièce dans son jeu, un pion qu’il pouvait manipuler à sa guise.

Un frisson me parcourut. Et pourtant, malgré tout, une petite voix me soufflait que je ne devais pas me laisser écraser. Oui, j’étais obligée d’accepter ce mariage pour sauver ma famille, mais cela ne signifiait pas que je devais me soumettre entièrement. Si Damon Sangies pensait que j’allais me plier docilement à ses attentes, il se trompait lourdement.

Mon regard se posa sur le miroir de ma coiffeuse, et je fus surprise de la lueur de défi qui animait mes yeux. J’avais perdu tant de choses, sacrifié tant de rêves, mais il me restait encore ma fierté. Je pouvais peut-être entrer dans ce mariage, mais je n’allais pas m’y perdre.

— Très bien, Damon, murmurais-je en fixant mon reflet.  Si tu veux une épouse, tu auras une épouse. Mais pas celle que tu crois.

Mon esprit tourbillonnait, passant en revue les moyens par lesquels je pourrais conserver mon autonomie, même dans le cadre d’une union arrangée. Damon pensait-il vraiment que je resterais passive, que je me contenterais de jouer le rôle de l’épouse obéissante et silencieuse ? Cette idée m'était insupportable, et plus j'y pensais, plus je sentais en moi une détermination croissante à lui prouver qu'il avait tort.

Je me levai brusquement, traversant la pièce pour ouvrir les volets. La lumière du jour m’aveugla un instant, mais je respirai l'air frais, comme pour me purifier de l'atmosphère oppressante de mes pensées. Dehors, les jardins s'étendaient à perte de vue, paisibles et intacts, comme si le monde lui-même ignorait les tourments qui déchiraient mon âme.

—  Seraphena ?  La voix douce de ma mère me tira de mes pensées. Elle se tenait sur le pas de la porte, le visage empreint d'inquiétude.  Es-tu certaine de vouloir aller jusqu'au bout ?

Je la regardai longuement, absorbant la tristesse qui alourdissait ses traits. Elle comprenait sans doute mieux que quiconque l’étendue de mon dilemme. Mais elle savait aussi que mon choix était déjà fait.

— Je n’ai pas le choix, mère, répondis-je d'une voix douce.  Pour toi, pour papa… Je ne peux pas tourner le dos à notre famille.

Elle s’approcha de moi, et posa une main tremblante sur ma joue.
-Tu es forte, ma chérie, bien plus que tu ne le crois. Mais sache que tu n’as pas à sacrifier ton âme pour nous.

Ses paroles résonnèrent en moi, et je sentis un poids se desserrer, même si l'ombre du devoir restait omniprésente. J’étais prête à affronter Damon, à me battre pour ce que je croyais juste, même si cela signifiait jouer un rôle qu’il n’attendait pas.

Je serrai la main de ma mère, lui promettant silencieusement que, quoi qu’il arrive, je resterais fidèle à moi-même. Peu importe les défis qui m’attendaient, je ne permettrai pas à Damon de m’aliéner, ni de m'éteindre.

Après qu’elle eut quitté la pièce, je passai encore quelques instants à contempler les jardins, cherchant le courage et la sérénité dont j’aurais besoin. Si ce mariage était inévitable, alors je l’affronterais avec toute la force qui bouillonnait en moi. Je savais que cela ne serait pas facile, mais j'étais prête à relever le défi.

Car en moi, plus fort que la peur, il y avait ce feu, cette détermination qui ne s’éteindrait jamais. Damon Sangies ne le savait pas encore, mais ce marché ne serait pas à sens unique. S’il voulait une épouse, il trouverait une adversaire. J’étais prête à jouer son jeu, mais à mes propres conditions. Peu importe ce qu’il croyait, je n’allais pas me laisser dominer.

Avec un dernier regard vers le miroir, j’affichai un sourire plein de défi. Oui, j'étais prête à affronter ce mariage, à affronter Damon, et à affronter le monde entier s’il le fallait. Car peu importait le prix à payer, je resterais fidèle à moi-même.

Les sœurs Belcourt. Tom 1 Promesse amèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant