Chapitre 15

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— Et là, si tu mets ton couteau ici, il lui faudra une dizaine de secondes avant de se vider de son sang.

Nyxarys parlait d'un ton froid, presque détaché, comme s'il décrivait une tâche quotidienne banale. Ses yeux étaient fixés sur moi, perçants, sans une once de compassion. J'étais assise par terre, essoufflée, les cheveux en bataille, et j'observais ses gestes méthodiques, presque hypnotiques, tandis qu'il traçait des lignes imaginaires sur son propre corps pour me montrer les points à frapper.

Le silence autour de nous n'était interrompu que par le bruit léger du vent qui agitait les feuilles au-dessus de nos têtes. La forêt elle-même semblait étouffer sous ce poids, comme si elle savait ce que nous étions en train d'apprendre. La lumière du jour déclinait lentement, baignant la clairière dans une ombre triste, presque funèbre.

Nyxarys continuait, implacable, comme si le temps ne comptait pas pour lui. Il ne se contentait pas d'expliquer les techniques ; il les montrait avec une précision chirurgicale. D'après lui ou plutôt selon les ordres de Deimos je ne pourrais pas toujours compter sur mes pouvoirs. 

"Un jour, tes dons pourraient te trahir," m'avait-il dit plus tôt. 

Ce jour-là, je devrais savoir comment me défendre avec mes mains, avec une lame, ou avec tout ce qui se présenterait.

Je n'avais jamais ressenti ce besoin. En plusieurs siècles d'existence, la magie avait toujours été mon bouclier, mon arme. C'était ce qui m'avait permis de survivre à la destruction de tout ce que j'avais connu. Mais aujourd'hui, sous les ordres de Deimos, sous le regard perçant de Nyxarys, je me retrouvais là, à apprendre des techniques de combat primaires, comme si mon pouvoir n'était qu'une illusion fragile.

Nyxarys m'observait en silence, me jugeant. Une sorcière dernière sa lignée réduite à manier un simple couteau. Il y avait quelque chose d'humiliant dans cette situation, mais aussi de terriblement réel. Mon pouvoir, aussi fort soit-il, ne pourrait pas toujours me protéger. Et quelque part en moi, cette vérité faisait naître une peur que je n'avais jamais voulue admettre.

— Tu devrais m'écouter, sorcière. La voix de Nyxarys claqua dans l'air comme un fouet, froide et inflexible. Le jour où tu seras dans l'incapacité de te défendre, tu regretteras de ne pas avoir suivi ce cours. Maintenant, lève-toi et frappe-moi comme je te l'ai appris !

Je levai les yeux vers lui, mon regard croisant le sien. Ces yeux verts, insondables... Exactement les mêmes que ceux de Deimos. Froids, distants, comme si rien ne pouvait les atteindre. Un frisson d'agacement me traversa. 

Foutu Deimos...

 Foutu Nyxarys.

Je me redressai lentement, mes muscles protestant sous l'effort, chaque étirement ravivant la douleur de l'entraînement. Mon corps, malgré les siècles passés à le renforcer, me rappelait constamment qu'il n'était pas invincible. La fatigue s'incrustait en moi comme une brûlure sourde. Je lâchai un faible grognement tout en secouant la tête pour chasser les pensées de frustration. 

Je n'avais pas le choix. 

Je me mis en position, mes pieds s'enfonçant légèrement dans l'herbe humide de la forêt. L'air était lourd, saturé par l'odeur de la terre et des feuilles trempées. La lumière du jour s'effaçait lentement, comme aspirée par l'obscurité grandissante. L'endroit était parfait pour cet entraînement brutal, loin du camp, loin des regards. Ici, le monde entier semblait se taire, comme s'il nous observait dans un silence morbide.

Je fixai Nyxarys avec une intensité renouvelée, une lueur prédatrice brûlant dans mon regard. Il restait immobile, ses doigts jouant distraitement avec sa lame. Son calme m'irritait, il me défiait, mais d'une manière subtile. Provoquer, attendre, observer... C'était son jeu. Chaque seconde passée à attendre augmentait ma frustration, mais aussi ma concentration. Il voulait que je perde patience, que je frappe dans l'urgence.

heart of the AbyssWhere stories live. Discover now