Mes pieds trempaient dans l'eau glacée de la rivière, mais le froid, mordant et tranchant, semblait avoir perdu son emprise sur moi. Mes jambes, épuisées par des heures de marche à travers des terrains hostiles, étaient engourdies, et la douleur qui avait d'abord été vive se dissolvait désormais dans cette fraîcheur ténébreuse, presque apaisante. Ce matin, en ouvrant les yeux, j'avais réalisé que j'étais seule près des cendres encore tièdes de notre feu de camp. Deimos avait disparu, mais sa présence persistait autour de moi, comme une ombre silencieuse veillant encore.
Depuis des siècles, le sommeil m'avait toujours été hostile, fait de visions sombres et de souvenirs douloureux. Pourtant, la veille, quelque chose s'était brisé. Enfermée dans les bras de Deimos, j'avais sombré dans un repos profond, comme si l'épuisement accumulé au fil des années m'avait enfin permis de me relâcher. Pour la première fois depuis des lustres, un sentiment de paix avait dissipé les cauchemars, suspendant temporairement l'angoisse constante qui rongeait mon esprit. Ce n'était pas un simple repos physique ; c'était une quiétude rare, presque précieuse, que je croyais à jamais perdue.
En sa présence, les ombres de mes démons semblaient s'éclipser, devenant des murmures à peine audibles au lieu des hurlements habituels. Dans ses bras, même l'obscurité qui m'entourait paraissait moins dense, moins menaçante. Il n'avait rien dit, pas une parole pour apaiser mes craintes, mais son silence, sa force, tout cela m'avait enveloppée d'une protection silencieuse, me rappelant que, malgré tout, je n'étais pas seule.
Assise au bord de la rivière, je fermai les yeux, laissant l'eau glacée me ramener doucement à la réalité. Le vent froid me caressait le visage, et le murmure de la rivière m'emplissait d'une étrange tranquillité. Je savais pourtant que cette paix serait éphémère, aussi fragile qu'un rêve. Mais en cet instant, ici, seule dans cette nature sombre et dévorante, cette paix était aussi précieuse qu'une étincelle dans une nuit interminable.
Nous avions repris la route pour Dolorheim dès mon réveil, sans une seconde de répit. Nos chevaux, fatigués par le rythme imposé, soufflaient bruyamment, leurs sabots martelant le sol humide dans une cadence implacable. Mes jambes étaient devenues insensibles sous l'effet des longues heures passées en selle, et le froid matinal s'infiltrait jusqu'à mes os, une morsure glacée qui ajoutait à la fatigue qui alourdissait mes paupières. Le soleil commençait enfin à se coucher, étendant une lumière dorée sur l'horizon et teintant le ciel de nuances pourpres et carmin, lorsque Daemon déclara notre première pause.
Alors que les autres s'installaient pour se reposer brièvement, je ressentis un besoin irrésistible de m'éloigner un peu du groupe. La tension constante de notre voyage, les regards pesants de mes compagnons, et le poids du silence nous entourant m'étouffaient peu à peu. J'avais besoin d'un moment à moi, d'un espace pour respirer et pour apaiser les pensées sombres qui ne cessaient de tourner en moi. Je m'étais donc m'éloignai, m'avançant vers la rivière qui serpentait entre les arbres, sa surface lisse et calme offrant un contraste bienvenu avec l'agitation intérieure qui m'habitait.
Nous n'étions plus très loin du village maudit de Dolorheim, à peine une trentaine de minutes à cheval, mais Daemon, toujours d'une prudence exemplaire, avait envoyé ses ombres en éclaireurs pour s'assurer que rien ni personne n'entraverait notre passage. Son don lui permettait de tisser des silhouettes de ténèbres, d'envoyer ces entités éthérées en avant, comme des spectres silencieux qui glissaient à travers les arbres, leurs mouvements invisibles et silencieux. La perspective de nous rapprocher de notre destination me procurait une excitation mêlée d'appréhension ; il y avait une étrange lourdeur dans l'air, une sensation que nous nous aventurions dans un endroit dont peu ressortaient indemnes.
Isolée ainsi, loin des regards et des tensions, je laissai l'eau glacée mordre ma peau, réveillant mes sens engourdis. Ce contact brutal avec la nature sauvage, loin des inquiétudes imminentes de Dolorheim, m'offrait un répit précieux, presque sacré. À quelques pas de ce village mystérieux, où chaque ombre semblait dissimuler un danger, la fraîcheur de la rivière représentait un moment de grâce, un luxe fragile.

YOU ARE READING
heart of the Abyss
ParanormalLyssa, sorcière de magie noire, est la dernière de son peuple. Elle a vu son monde brûler sous ses yeux, réduit en cendres par des forces qu'elle ne pouvait combattre. Son peuple, massacré. Ses cris, étouffés par le silence d'une nuit éternelle. Seu...