Les arbres éternels se dressaient, immobiles et silencieux, leurs branches glacées craquant sous l’effet du vent mordant. Les flocons de neige dansaient dans l’air, une danse perpétuelle de blanc contre le fond des pins infinis. La colonie pénitentiaire, nichée dans cette étendue glaciale, était un rappel cruel de l'emprise de fer de la République. Les détenus travaillaient dans les températures glaciales, leurs visages marqués par la fatigue et le désespoir.
Elara, autrefois puissante sorcière, n’était plus qu’une prisonnière parmi tant d’autres. Ses mains, autrefois capables de lancer des sorts puissants, étaient maintenant rêches et calleuses à force de plonger des filets dans les eaux glaciales. Elle se mouvait mécaniquement, le froid mordant à travers ses vêtements en lambeaux, son esprit insensible aux épreuves qu’elle endurait.
Un jour, un nouveau détenu arriva à la colonie, escorté par des gardes impitoyables. C’était un homme maigre, à l’apparence intellectuelle, ses yeux brillants d’intelligence malgré les épreuves qu’il avait traversées. Son nom était Anton, autrefois étoile montante de l'Institut Populaire de la Vérité. Son crime ? Avoir osé critiquer le Comité Exécutif.
Elara observa de loin tandis qu'Anton était introduit dans la dure routine de la colonie. Ce soir-là, autour d’un maigre feu de camp, Anton partagea son histoire et les dernières nouvelles de la République.
— La République n’est plus que l’ombre d’elle-même, commença Anton, sa voix teintée d’amertume et de tristesse. Un système de rationnement pour la nourriture et les produits de première nécessité a été instauré. Il y a une grande pauvreté, mais le Comité, à travers la presse gouvernementale et les bardes officiels, fait croire à tout le monde qu'ils vivent dans un pays de prospérité universelle.
Elara écoutait attentivement, son esprit dérivant vers les jours où elle possédait encore du pouvoir et de l'influence.
— Après la mort de Malazar, continua Anton, le Comité Spécial a intensifié ses efforts pour éliminer tous les foyers de résistance magique. La magie est désormais méprisée et traitée comme une superstition nuisible. Le président du Comité Exécutif, Thorne, a perdu la vie peu de temps après les procès, victime de luttes internes.
Le cœur d'Elara se serra à l'évocation de Thorne. Il avait été un acteur clé de sa chute, mais même lui n'avait pas échappé à la brutalité du régime.
— Un ancien chevalier nommé Alistair, qui a rejoint la révolution au bon moment, a pris le pouvoir, poursuivit Anton. Il se présente maintenant comme le plus grand révolutionnaire, bien que ses méthodes soient tout aussi oppressives. Des écoles ont été créées pour éduquer la jeunesse dans l’esprit de la Révolution, s’assurant que la nouvelle génération ne connaisse que les idéaux du Comité.
Les yeux d’Elara s'assombrirent.
— Et Arica ? demanda-t-elle à voix basse.
Anton soupira.
— Arica est devenue la maîtresse du président Alistair. Elle utilise son charme pour bâtir sa carrière, mais son addiction à l'amour continue, et ses aventures amoureuses sont le sujet de potins dans toute la République.
L’esprit d’Elara tourbillonnait d’images d’un monde qu’elle avait autrefois connu, désormais irrémédiablement transformé.
— Les jours des dragons, de la magie et des épées sont révolus, conclut Anton. À leur place sont venues l'ère de la poudre à canon et de la machine à vapeur. Pourtant, la nature humaine reste inchangée : l’ambition, la cupidité et la trahison gouvernent toujours le cœur des hommes.
Un profond sentiment de tristesse envahit Elara, non seulement pour elle-même, mais pour un monde qui semblait avoir perdu sa magie, au sens littéral comme au figuré. Elle regarda autour d'elle ses compagnons d'infortune, leurs visages usés par les épreuves. Elle y vit le même combat, la même lutte pour la survie.
— Je comprends, dit doucement Elara, ses yeux croisant ceux d’Anton. Merci de nous avoir raconté cela.
Anton acquiesça, son regard empreint d’une compréhension partagée de leur sort.
— Nous devons garder espoir, aussi infime soit-il, dit-il. Même dans cet endroit froid et impitoyable, nous devons nous rappeler que nous avons connu un monde merveilleux.
Elara hocha la tête, mais tandis qu’elle retournait à son travail, elle sentit le poids de son passé peser lourd sur ses épaules. Elle avait fait partie de ce monde merveilleux, et maintenant, elle faisait partie de sa fin.
Les jours se transformèrent en semaines, et Elara s’enfonça dans la routine de son travail. Elle travaillait aux côtés des autres détenus, son passé devenant un souvenir lointain, son avenir une ombre incertaine. Elle trouva un étrange réconfort dans la simplicité de ses tâches, dans le rythme de la survie.
Un matin froid et gris, alors qu’Elara tirait des filets des eaux glacées, elle leva les yeux vers les montagnes qui entouraient la colonie. Elle pensa à Malazar, à ses derniers instants, et à la paix qu'il avait peut-être trouvée dans ces mêmes montagnes. Elle se demanda s'il avait vraiment trouvé la paix, ou si son esprit errait encore dans ces sommets, silencieux gardien du monde qu'il avait essayé de sauver.
Au bout du compte, Elara savait que le monde avait changé au-delà de toute reconnaissance, mais sa place dans celui-ci était désormais claire. Elle n’était plus la sorcière qui avait autrefois exercé un grand pouvoir. Elle n’était plus qu’une femme, une prisonnière de son propre passé, essayant de survivre dans un monde qui avait oublié la magie d’autrefois.
Et ainsi, Elara continua à travailler, son cœur lourd de la connaissance de ce qui avait été perdu, mais son esprit demeurant invaincu. Elle avait affronté la colère du monde et en était sortie avec une force silencieuse, une résilience qui la guiderait à travers tout ce que l'avenir lui réservait.
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Chroniques d'Aricie: Le Plan Fou de Malazar
FantasyDans un monde où la trahison et la magie règnent en maîtres, le sorcier Malazar élabore un plan audacieux : remodeler la réalité elle-même. Alors que les royaumes s'effondrent sous les guerres et les révolutions, quelques âmes brisées se dressent co...