Elira -Cœur en Cavale

Chapitre 5

                               point de vue :
                                      ALI

Je l'ai remarquée dès le premier jour. C'est presque inévitable ici, dans cet environnement où chaque nouveau visage attire les regards, où tout ce qui sort de l'ordinaire est scruté, pesé. Elira est différente. Elle dégage quelque chose qui accroche le regard. Petite mais bien formée, elle a la peau mate, des traits doux mais déterminés, et des cheveux noirs qui ondulent jusqu'à ses épaules, comme un halo sombre autour de son visage. Ses yeux, surtout, sont inoubliables : un regard perçant, intense, comme si elle cherchait à comprendre ce monde dans lequel elle vient d'entrer. Ils ne sont pas remplis de peur, comme ceux des autres nouvelles ; non, ils sont pleins de détermination et de méfiance.

Dans mon métier, j'ai appris à être vigilant, à ne jamais me laisser distraire par ce genre de détails. Mais cette fille... Elle m'intrigue. Elle garde la tête basse, suit les conseils de Lynda, mais je sens qu'elle est en train d'apprendre, d'observer, de s'adapter. Il y a une volonté en elle, quelque chose de différent, qui me rappelle que, parfois, même les plus calmes peuvent surprendre.

Aujourd'hui, je l'ai vue s'attirer l'attention de Sara, une autre détenue bien plus expérimentée dans les conflits internes. Sara adore tester les nouvelles, les briser un peu pour affirmer sa domination. Mais Elira, elle, a réussi à garder son calme. Même quand Sara l'a provoquée, elle n'a pas cédé. Je suis intervenu avant que ça n'aille trop loin, bien sûr. C'est mon rôle, mais quelque chose dans la manière dont elle a tenu bon m'a frappé.

Ce n'est pas qu'elle n'a pas peur, je le sais. Mais elle la cache bien, cette peur, et ça la rend forte, plus forte que la plupart des nouvelles. Elle a su rester droite, montrer qu'elle ne se laissera pas intimider si facilement. C'est exactement le genre d'attitude qui fait la différence ici, qui détermine qui survivra et qui finira brisée par la pression.

Alors, pourquoi est-ce que je la surveille plus attentivement que les autres ? Pourquoi est-ce que mon regard la cherche chaque fois que je traverse la cafétéria ou que je fais ma ronde dans la cour ? Peut-être parce que je reconnais cette force intérieure qu'elle essaie de dissimuler. Je sais qu'elle se bat, silencieusement, pour ne pas se laisser emporter par la peur, par la brutalité de cet endroit.

Il y a quelque chose d'admirable là-dedans, quelque chose qui me pousse à garder un œil sur elle, même si je devrais rester impartial, détaché. Dans ce milieu, les liens ne sont pas une option, encore moins avec les détenues. Mais malgré moi, je me surprends à espérer qu'elle tienne bon, qu'elle ne se laisse pas avaler par la violence qui rôde ici.

En observant Elira, je me rends compte qu'elle a une beauté rare, une douceur mêlée à une résilience qui ne laisse pas indifférent. Ses courbes délicates, sa peau mate, cette façon qu'elle a de lever les yeux avec un éclat d'intelligence et de méfiance... Ce n'est pas le genre de beauté qu'on voit souvent dans ces murs. Elle semble hors de place, comme un souvenir d'un monde plus lumineux.

J'aimerais croire que ce n'est qu'un intérêt professionnel, que je ne fais que remplir mon rôle de surveillant. Mais, en vérité, je sais que c'est plus que ça. Cette fille dégage quelque chose qui me touche, qui me rappelle que même ici, même dans cet univers froid et impitoyable, il reste des gens qui refusent de plier, qui ont en eux une étincelle de dignité.

Je vais continuer à la surveiller, à distance. Pas parce qu'elle a besoin de ma protection, mais parce que j'ai l'impression qu'elle peut m'apprendre quelque chose, me rappeler pourquoi j'ai choisi ce travail au départ. Et si jamais elle a besoin d'aide, même si elle ne le demande pas, je serai là. Parce que, malgré moi, je commence à vouloir qu'elle s'en sorte.