Chapitre 11

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                                    Ali

Je me lève de ma chaise, lentement, mes yeux glissant une dernière fois sur Elira. Elle est là, juste en face de moi, et pourtant, à cet instant précis, elle me semble à des années-lumière. Ce regard qu'elle m'a lancé avant que je ne bouge... il est encore gravé dans mon esprit. Elle m'a percé à jour, d'une manière que je ne comprends pas. J'ai senti, juste l'espace d'une seconde, que tout ce que j'essayais de lui cacher était mis à nu devant elle.

Je laisse mon plateau sur la table, mes gestes un peu lents, presque maladroits. Il faut que je me reprenne. Je suis un gardien, et elle est une détenue. Tout ce qu'il y a entre nous devrait se résumer à cette distance, claire et infranchissable. Mais pourquoi est-ce que j'ai du mal à le croire ? Pourquoi est-ce que je me sens piégé dans cet étrange lien entre nous, quelque chose que je ne devrais même pas laisser exister ?

Je quitte la cafétéria, les bruits autour de moi devenant un bourdonnement lointain alors que mes pensées me ramènent sans cesse à Elira. Sa voix, son regard, la manière dont elle m'a défié de la comprendre... Tout cela résonne encore, et ça m'obsède. C'est comme si elle me hantait.

J'arrive dans la salle de repos des gardiens, un espace sobre avec quelques écrans de surveillance, un canapé fatigué, et l'odeur persistante de café froid. C'est là que je vais passer les prochaines heures, à surveiller les écrans jusqu'à minuit. Les caméras me renvoient des images sans vie : des couloirs, des cellules, des visages indifférents. Rien qui puisse vraiment me distraire de mes pensées.

Sur l'un des écrans, j'aperçois Elira, de retour dans sa cellule. Elle est assise sur son lit, l'air pensif, presque absent. Une vague de culpabilité m'envahit. Qu'est-ce que je fais ? Pourquoi est-ce que je m'attarde à la regarder, pourquoi est-ce que je lui accorde autant d'attention ? Je me rappelle la promesse implicite qu'on fait en devenant gardien : garder ses distances, être impartial. Mais avec elle, c'est comme si chaque règle, chaque ligne que je me suis fixé s'effritait.

Les heures défilent, et bientôt, minuit approche. Il est temps pour moi de quitter mon poste. Je me lève, récupère mes affaires et me dirige vers la sortie. En passant par la grille, je salue les collègues de la relève, signe mon badge, et franchis la dernière porte qui me sépare de l'extérieur. L'air frais de la nuit me frappe au visage, me ramenant un peu à la réalité. Je souffle, comme pour essayer d'évacuer ce poids que j'ai sur les épaules.

Je traverse le parking désert, mes pas résonnant dans le silence de la nuit. Là, juste sous un lampadaire, ma moto m'attend, mon échappatoire. Je m'en approche, glisse mon casque, et active ma playlist. Le premier morceau de Chase Atlantic Slow Down démarre, et les premières notes m'envahissent, étouffant un instant le bruit de mes pensées. Le moteur vrombit, et je me sens enfin libre, seul sur cette route, avec juste la musique et l'obscurité.

Alors que je prends de la vitesse, je me rends compte que, malgré tous mes efforts, je n'ai pas laissé Elira derrière moi.

La route défile sous mes roues, mais mon esprit reste bloqué à la cafétéria. "Tu n'as pas le droit de me juger, Ali." Cette phrase résonne encore dans ma tête, comme un écho qui refuse de se taire. Ce qu'elle a dit... c'est comme si elle avait lu en moi, su ce que je pensais, ce que je n'osais même pas admettre.

Je l'avais jugée, même sans le vouloir, sans vraiment la connaître. C'était instinctif, un réflexe de protection, peut-être, mais aussi de méfiance. Gardien et détenue, ce sont des rôles, des frontières invisibles mais puissantes. Pourtant, avec elle, tout ça semble soudain plus flou, moins solide. Ce qu'elle m'a dit, ce ton froid, presque blessé... c'était comme si elle avait vu au-delà de ma fonction, comme si elle avait percé le masque de neutralité que je porte chaque jour.

Elira -Cœur en Cavale Où les histoires vivent. Découvrez maintenant