Chapitre 34 - Course contre la montre

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pdv Romain

Mes yeux vitreux parcourent une troisième fois la page ternie sans m'en révéler le sens. Les lettres dansent devant mes prunelles marron, les lignes se mélangent et s'entrelacent, rendant toute lecture impossible. Cela fait si longtemps que je suis assis là, à cette table recouverte d'ouvrage plus épais les uns que les autres, que j'en ai perdu la notion du temps. Même la raison qui me pousse à feuilleter tous ces bouquins me paraît vague et obscure. Je frotte mes poings contre mes globes oculaires dans l'euphémisme de les maintenir ouverts et parcours la pièce d'un regard las.

Lyam, Moa et Astal sont silencieusement plongés dans leur lecture. Un soupir s'échappe de mes lèvres et je referme le volume posé sur la table de bois sombre pour passer un doigt sur son titre en relief. La Médecine Ogre du IVᵉ siècle. Les fragments épars de ma mémoire s'assemblent et l'image d'une Laurie inconsciente revient en force dans mon esprit. C'est pour elle que je fais ça. Et je ne peux pas abandonner.

Persuadé que ce livre ne m'apprendra rien de plus, je me lève avec un regain de motivation et parcours les étagères pour retrouver sa place. Alors que je le replace consciencieusement, quelque chose coince et j'interromps mon geste pour trouver une espèce de petit manuel tout froissé entre deux livres. Je m'en saisis et tente vainement de redresser sa couverture avant de m'arrêter net à la vue du titre.

Journal de bord du Docteur Amerigo.

Qu'est-ce que ça peut bien être ? Et pourquoi est-ce rangé sur l'étagère de la médecine ?

Sans quitter les lettres manuscrites des yeux, je retourne m'asseoir, circonspect. Les pages chiffonnées glissent sur mes doigts alors que je parcours avidement la première page.

« DOSSIER CONFIDENTIEL.

Ce journal ne doit, en aucun cas, tomber entre les mauvaises mains, car il renferme une étude expérimentale pouvant compromettre la bonne santé de l'utilisateur, et plus encore, la paix.

Si vous lisez ces lignes sans l'autorisation expresse du souverain ogre en activité, écoutez votre morale et refermez ces pages avant qu'il ne soit trop tard pour faire machine arrière. »

Le roi ogre ? Mais qu'est-ce que ce truc peut-il bien faire ici ? Et qu'est-ce qui pourrait compromettre la paix ou la santé du lecteur ? Celui qui a écrit a-t-il vraiment cru qu'on s'arrêterait là après avoir lu une chose pareille ?

Ma « morale » oscille un millième de seconde entre la raison et la curiosité. Mon cœur bat vite dans ma poitrine : j'ai l'impression de commettre quelque chose de grave en ouvrant le manuel. Cette étude expérimentale pourrait-elle avoir un lien avec les poisons ogres ? Après avoir jeté un rapide coup d'œil à mes compagnons de recherches, je tourne fébrilement la page jaunie pour dévorer les mots qui s'y trouvent.

Je découvre un nouvel avertissement sur la double page suivante, m'informant des risques encourus auprès des lois ogres, mais le récit commence enfin sur celle d'après. L'écriture en patte de mouche est bien moins soignée que sur les premières pages et des tâches parsèment les paragraphes, ralentissant le débit de ma lecture. Pourtant je ne désespère pas et avale les mots les uns après les autres, avide des informations que peut contenir ce petit feuillet détrempé.

Malgré les quelques phrases en partie illisibles, je finis par reconstituer les hypothèses et les recherches d'un chercheur ogre étudiant les différentes formes d'empoisonnement. Ce détail en particulier attise ma curiosité et mon espoir – me poussant à redoubler de vitesse. Mais les pages défilent sans que je ne voie la moindre trace du mal qui frappe mon amie. Je commence à désespérer avant de tomber sans prévenir sur ce que j'attendais et redoutais tout à la fois.

Laurie et l'oiseau de feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant