Chapitre 9

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Dans un vase sur la commode, des fleurs se desséchaient. Alain observa la pièce attentivement et finit par déclarer :


_ Assieds-toi.  


Il fallut qu'il y ajoute un « S'il te plaît » et une note de désespoir dans sa voix, pour que Martine consente à lui obéir.

_ J'ai mis longtemps avant de me rendre compte combien je t'aime. Et j'ai mis encore plus de temps avant de me décider à te l'avouer. Martine, crois-moi que si les circonstances étaient différentes je n'aurais rien rajouté et on n'aurait plus jamais parlé de cette histoire. Mais tropde choses me font croire que tu me mens. J'ai tourné et retourné ce qui s'était passé au lycée, quand on s'est retrouvé, quand on est sorti « entre copains », quand je me suis marié et ce qu'il s'est passé avec Éric, mais je ne vois qu'une seule et même explication à ton comportement : tum'aimes, c'est évident.— Ah, je vois. Monsieur a toujours été habitué à avoir toutes les femmes à ses pieds et ça t'énerve de voir que je suis complètement insensible à ton charme ravageur. Tu es vraiment pathétique, tu sais.— Tu n'avais aucune raison d'inventer ce flirt avec moi, sinon...— Arrête ! Je t'ai déjà dit que c'était une erreur de jeunesse.— Oh, oui, maintenant tu es vieille ! Martine pourquoi as-tu inventé cette histoire ? 


Elle se mit soudain à trembler. Des larmes commencèrent à rouler sur ses joues et son sang s'était arrêté de circuler. La douleur, même après tant d'années était toujours aussi vive. Elle eut beaucoup de mal à ouvrir la bouche, pourtant, il lui fallait enfin, avouer à quelqu'un ce qu'il s'était passé à cette époque de sa vie. Il fallait qu'elle soulage sa peine, si longtemps enfouie. Lorsqu'elle se décida, les mots sortirent sur le ton de la colère :

_ Tu ne sais rien ! Tu ne sais pas ce que c'est. Tu as toujours été populaire, intelligent et... Enfin, moi, j'ai toujours été... différente ! Trop différente ! Au collège, j'étais trop moche, trop intelligente, trop distinguée pour inspirer un quelconque sentiment. Au lycée, j'ai d'abord été la nouveauté avec laquelle, il fallait s'afficher puis, ils se sont tous rendus compte de madifférence. J'étais trop moche, trop peu distinguée, trop bête pour que l'on puisse s'intéresser à moi. Jamais, jamais, l'on ne m'a dit quelque chose de gentil dans ma vie. Pas une seule fois j'ai eu droit à la version douce des gens que je rencontrais. Tous, sans exception, estimaient que mes kilos en trop et mon non-conformisme ne nécessitaient aucun égard. J'ai vu des chiens qui étaient mieux traités que moi. J'ai vécu cinq années de ma vie d'adolescente dans une tristesse que je croyais réellement insurmontable. Et tu voulais que je me vante auprès de mes deux seules amies et de ma famille d'avoir eu cette vie de merde ? Quand on a quinze ans, on ne voit que deux solutions : se suicider ou devenir folle. J'ai décidé de devenir folle. Je me suis réfugiée dans mon monde : un monde où tout le monde m'aimait, même toi. Quand mes amies parlaient de leurs amours, j'ai trouvé naturel de leur confier mes histoires imaginaires. Je ne leur ai jamais avoué la vérité... Je ne pensais pas te revoir un jour. 


Alain voulut s'approcher d'elle et la consoler mais elle le repoussa.

_ Pourquoi m'as-tu choisi ? Si tu ne m'aimais pas ? 


Martine éclata soudain dans une colère noire. Elle ne cessait de revoir toutes ses nuits d'adolescente où elle avait pleuré pour qu'Alain la regarde. Elle venait de se confier et Alain n'avait toujours rien compris. Il voulait réellement l'entendre. Il ne savait pas que Martine avait, depuis ses échecs, juré de ne jamais dire ce mot.

Un vol pour la gloireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant