Âmes sœurs

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Il est le premier que j'ai vu. Et j'ai eu beau tenter de détourner le regard, je ne pouvais m'empêcher de le regarder. Il n'avait pas les ailes des autres anges, elles n'étaient pas si déployées, elles ne frôlaient pas l'horizon, non. Elles étaient un peu affaissées, et cela les rendait belles, de ce charme mélancolique qu'ont les vieilles églises. Puis il a tourné la tête vers moi et j'ai croisé son regard une fraction de seconde. Ce regard qui ne s'attarde pas, qui vous frôle, et mine de rien vous fouille, puis se détourne. Cet éclat mélancolique dans le regard qui étincelle de sagesse et de désespoir. Il n'avait pas l'air malheureux, il n'avait pas l'air heureux, il avait l'air différent. J'observais dans sa démarche assurée ce petit boitement, cette petite faille, qui pourtant faisait le charme. Il marchait, et j'ai pu observer qu'il marchait pour lui, dans ce monde qui était le sien et qui n'appartenait qu'à lui. Les autres à côté de lui étaient ses semblables, et pourtant ils semblaient si différents. Il était l'étranger. Il s'est pourtant arrêté dans un sursaut, comme glacé. Je ne voyais plus cette indifférence. Le halo de lumière qui l'entourait d'un coup s'animait de couleurs chaudes. Alors j'ai suivi son regard, et puis d'un coup lui et moi on regardait la même chose. Un ange aux ailes affaissées, et cela les rendait belles, de ce charme mélancolique qu'ont les vieilles églises. Lui aussi détournait le regard, et puis d'un coup ils ne paraissaient plus étrangers. Non, ils paraissaient ensemble dans un autre monde... Pourtant l'un regardait l'autre et l'autre ne le regardait pas. Et ça m'a fait de la peine, oui, de la peine. Ils étaient parfaits dans leur empire de solitude glacé. Mais cette flamme qui animait l'un, aurait enflammé l'autre. Et d'un monde parfait ils auraient vogué vers un monde partagé. Ce monde aurait eu la beauté des deux anges déchus qui se protègent... Mais l'un regardait l'autre et l'autre ne le voyait pas. Alors leur regard se sont tournés vers l'horizon, remplis de la même lueur. Et même si l'horizon les caressait de la même chaleur, ils avaient le même chagrin dans le cœur, c'était celui des âmes sœurs qui s'indiffèrent du bonheur.


L'écrit du coeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant