Merci pour vos commentaires :) J'avais oublié de préciser (je crois) que cette histoire toute simple est dérivée d'une autre histoire "Nahash", qui raconte la vie du fils de don Serafin ! ;)
Bonne lecture !
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Elena était exténuée. La fatigue morale s'ajoutait à la fatigue physique, car les derniers événements lui avaient prouvé définitivement combien don Alejandro de Serafin était aux antipodes du monstre cruel qu'elle avait été persuadée d'épouser. Il devait être cinq heures du matin lorsqu'elle redescendit des combles. Elle trouva Alejandro endormi – et toujours vêtu de ses chausses... – devant le feu qui se mourait.
À bout de forces, la jeune femme s'agenouilla devant la cheminée et y ajouta encore une bûche. Elle jeta un regard sur la cuisse gauche de son mari et soupira : une auréole de sang s'y étalait largement.
- Que ne tirez-vous pas à main droite... murmura-t-elle.
Le marquis répondit par un soupir, comme s'il l'avait entendue dans son sommeil. Un demi-sourire traversa les lèvres d'Elena qui prit son courage à deux mains.
- Et bien puisqu'il le faut...
Préférant ne pas abuser de l'état de faiblesse de son époux, la jeune Barbastre découpa délicatement un carré dans le tissu épais des chausses, de façon à dégager la blessure : elle pourrait le recoudre peut-être même sans éveiller le capitaine général et sans offenser sa pudeur. Elle nettoya avec une douceur infinie la plaie, résolue à laisser don Alejandro aux bras de Morphée, et y apposa un linge propre pour la garder des souillures.
- Bon, chuchota-t-elle, vous n'avez rien de bien sérieux, ici. Je me suis inquiétée pour rien, vous aviez raison.
- Aha !
Elena sursauta si violemment qu'elle fût tombée dans l'âtre si le marquis n'eût possédé des réflexes de tigre.
- Monseigneur ! s'exclama-t-elle. Vous m'avez fait peur !
- Et vous m'en voyez désolé, rétorqua aussitôt le marquis avec un sourire qui indiquait tout sauf la contrition, mais je tenais à souligner que vous aviez admis que j'avais raison. C'est merveilleux ! fit-il avant de lui lâcher le bras. Moi qui croyais avoir toujours tort !
Elena rougit, baissa le nez et ne put masquer un sourire amusé.
- À présent, un nouveau miracle, par ma foi ! reprit don Alejandro, qui s'était sans doute parfaitement reposé.
Il glissa un index sous le menton d'Elena et lui fit relever la tête. Elle le regarda droit dans les yeux, et remarqua combien le regard – pourtant sombre et parfois inquiétant – du marquis s'était fait pétillant de malice. Ce devait être la première fois que la jeune femme osait dévisager ainsi son mari sans vouloir seulement lui transmettre son mépris et sa haine, et de si près, elle put remarquer à quel point le sanguinaire capitaine général du roi semblait en fait... humain. Sans se permettre de se dégager, Elena se mordit les lèvres et demanda :
- Mais quel miracle, monseigneur ?
- Ah bien, il n'aura pas duré longtemps. Vous froncez déjà le sourcil et votre front s'obscurcit, mais j'ai cru voir un sourire traverser votre visage de Barbastre.
Don Alejandro regretta un peu ses paroles lorsqu'il vit une lueur, dans les prunelles émeraudes de la jeune femme, s'éteindre aussitôt. Il ne l'avait pas remarquée, jusqu'alors. Du pouce, il repoussa avec autant de délicatesse que possible des mèches de cheveux qui retombaient devant le visage d'Elena.
- Mais, continua-t-il, sachez que vous êtes d'une beauté remarquable, lorsque vous souriez. J'espère pouvoir assister au prochain sourire.
La jeune femme resta silencieuse, mais elle n'avait pas été insensible à cette tentative de la part de don Alejandro de lui être agréable.
- Je vais recoudre vos chausses.
- Mais faites. Je ne saurais vous être utile dans ce domaine, je ne sais que recoudre une voile.
- Ce ne doit pas être si différent, répliqua distraitement Elena en humectant le bout d'un fil de laine.
Elle se concentra pour repriser le vêtement sans piquer la peau du marquis, qui devait retenir un sourire d'émerveillement à voir l'application avec laquelle la jeune femme recousait ses chausses. Il se traita intérieurement d'imbécile pour s'émerveiller devant des choses si idiotes et demanda, pour donner le change :
- Rodrigue se porte-t-il mieux ?
- Il dort bien, répondit Elena sans relever la tête. Je trouvais qu'il avait moins de fièvre, mais il devra rester ici jusqu'à ne plus en avoir du tout.
- Soldat, couturière, médecin... mais vous savez tout faire, dites-moi ?
Elena faillit lui avouer que dès le remariage de son père, elle avait été traitée presque aussi mal qu'une domestique, mais sa méfiance envers don Serafin ne s'était pas entièrement éteinte...
- Oh, j'ai appris quelques gestes, ça et là... éluda-t-elle. J'ai terminé. Vous n'êtes pas trop serré ? J'ai laissé un tissu propre en place...
- Je sais, j'ai vu.
La jeune femme dut alors plaquer les deux mains contre la bouche : elle bailla à s'en décrocher la mâchoire.
- Por Dios, fit don Serafin. Vous voilà fourbue... Vous allez...
- Fourbue ?
Un éclair de panique passa dans les yeux d'Elena qui se remit sur pieds aussitôt.
- Luna ! Je ne sais pas où...
- Restez. Votre jument est une bête solide, elle passera...
- Non ! Non ! s'exclama la jeune Barbastre, au bord des larmes. Elle va avoir faim, soif, froid, que sais-je, il faut que...
Sans plus se soucier du marquis, la jeune femme voulut se précipiter à l'extérieur, la fatigue lui brouillant totalement les idées. Mais don Alejandro fut plus prompt et parvint à se lever et à l'empoigner à bras-le-corps à temps.
- Non, vous... !
- Voulez-vous éveiller ce malheureux Rodrigue ? siffla à son oreille le capitaine général. Ou bien nos pauvres hôtes ? Allons, tenez-vous tranquille et obéissez à mes ordres !
- Luna va...
- Barbastre, je connais les chevaux, votre Luna passera fort bien la nuit. Si ce n'est pas le cas, je me jetterai du haut d'un pont, et vous pourrez prendre mes habits et vous enfuir en prenant mon identité.
- Elle va avoir froid... gémit Elena en sentant soudain une faiblesse la saisir. Je... mes jambes...
- Grâce au ciel, vous êtes faite de chair et de sang ! soupira don Serafin. Je commençais à en douter... Je vous en prie, Elena, vous savez, désormais, que vous pouvez me faire confiance. Vous le savez ?
Alejandro fit fi de la douleur qui le prit au côté gauche lorsqu'il dut soutenir Elena, qui perdait connaissance. Cette dernière vit à nouveau les yeux noirs et perçants du marquis la fixer intensément, car il attendait une réponse. Elle crut alors y lire de l'inquiétude, une inquiétude réelle. Elle ne put qu'acquiescer d'un hochement de tête avant que de perdre totalement connaissance...

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Faena Cumbre
HistoryczneUn mariage arrangé entre deux êtres que tout sépare. Ils ont dix ans d'écart, elle le hait et lui doit sans cesse parer à ses fugues et ses pièges. Découvrez une histoire d'amour tumultueuse, qui donnera naissance au plus terrible des pirates des An...