10. Honorem manet

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Roque, le frère par alliance d'Elena, croisa les jambes et adressa à  la jeune femme un sourire mauvais. Cette dernière déglutit, choquée par  la vision d'un être qu'elle craignait et haïssait tout à la fois.  Rentrée à la marche de Serafin, la jeune Barbastre avait eu le sentiment  d'appartenir enfin à un avenir heureux. L'apparition démoniaque de don  Roque avait fait tomber un voile de mort sur ses illusions.

-  Alors, petite sœur ? J'admets être déçu, je ne pensais pas que tu  reviendrais vivante... Avoue qu'un reniement va détruire toutes tes  chances d'avenir ! César et moi te réservons un accueil...

- Que faites-vous ici ?

Elena  se détendit presque immédiatement : la voix tonnante de don Serafin  avait fait vibrer les vitraux de la grande salle. Roque serra  les poings.

À grandes enjambées, Alejandro se hâta de rejoindre la  jeune Barbastre. Il connaissait Roque, et il savait que le frère  d'Elena était un petit tyran. La jeune femme restait calme, concentrée  et si Maryam, la servante mise au service de son épouse, n'avait jamais  confié à son maître que la jeune fille cauchemardait très souvent au  sujet de Roque, don Alejandro ne se fût pas douté de l'angoisse que  celui-ci infligeait à sa sœur.

- Je suis arrivé ce matin. Je n'ai  pas pu m'empêcher d'accourir, en apprenant la déchéance de ma pauvre  sœur... ainsi que la rupture du contrat royal.

Un sourire torve se  dessina sur les traits pâles du jeune noble. Don Serafin fronça le  sourcil : comment se faisait-il que Roque connût cette information ?

-  Ce n'est pas ce que m'ont dit mes serviteurs. Vous êtes ici depuis une  semaine. L'hospitalité vous a été accordée, ce dont je me réjouis. En  revanche, je crains que vous ayez été mal informé en ce qui concerne...

-  Parle, parle, Serafin, tu n'es plus qu'un hidalgo. Ce n'est qu'une  question de temps avant que la rupture soit officialisée et...

- Vous manquez de respect au marquis de Serafin, monsieur ! souffla soudain Elena, outrée et honteuse d'un tel comportement.

- Je ne dois aucun respect à un parjure. Car n'as-tu pas parjuré, Serafin ?

- Jamais. Un Serafin tient sa parole ou meurt.

-  Alors que fais-tu encore ici ? Selon le contrat du mariage, une rupture  entraîne la totale acquisition des biens et des titres du responsable  de la rupture à la famille de la personne lésée.

Don Alejandro ne  répliqua rien. Il avait renié Elena, c'était vrai, mais il n'avait pas  eu le temps d'officialiser la chose et il pensait que l'information ne  serait pas ébruitée sans son accord. De plus, il s'était passé tant  d'événements depuis la fugue de la jeune femme, et le marquis avait  éprouvé des sentiments si nouveaux envers la jeune Barbastre qu'il eût  aimé pouvoir parler calmement avec elle de leur avenir et de ce qu'elle  désirait réellement. Mais à présent, face à Roque, il était impossible  de s'entretenir dans l'intimité. Aussi, ignorant ce que Elena voulait,  don Alejandro ne put se permettre d'affirmer ou d'infirmer ce que le  noble venait de lui cracher au visage.

- Roque, avez-vous une preuve de ce que vous dites ? questionna don Serafin d'une voix apaisante.

Sa  jeune épouse osa seulement alors lever les yeux sur lui. Le marquis  restait maître de lui-même, au-delà de toute expression. Sa seule  présence à ses côtés rassurait la noble, et son regard perçant semblait  suffire à tenir Roque à distance. Une fois de plus, Elena admira la  beauté rude des traits du marquis et elle ne put s'empêcher de  ressentir une attirance étrange à son endroit. Elle avait envie de le  toucher, de lui prendre la main. Elle avait envie qu'il l'embrassât,  comme dans ces romans de fin'amore qu'il lui plaisait de lire  lorsqu'elle en avait le temps. Avec amertume, elle songea qu'elle  s'était par trop compromise par son attitude, et qu'elle ne pourrait pas  s'imposer au marquis qui avait déjà été assez bon pour lui sauver la  vie.

Faena CumbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant