2. Le cas Barbastre

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Quelques jours plus tôt...

- Et le soir même de ton mariage, il t'enfermera dans la chambre nuptiale, et tu connaîtras des douleurs que tu ne pourrais jamais imaginer ! ricana Roque de Barbastre.

Elena pâlit violemment. Sa mère était morte alors qu'elle n'avait que huit ans. Elle avait réussi à lui inculquer tout ce qu'une véritable Barbastre devait savoir, mais n'avait jamais abordé la question du mariage et encore moins celle de la nuit de noce, qui terrifiait affreusement la jeune fiancée.

Roque de Barbastre, le fils de la marâtre d'Elena, âgé de trois ans de plus qu'elle, éclata d'un rire cruel, ravi de voir sa « petite sœur » en proie à une telle détresse.

- Roque ! rugit don Lope, qui se trouvait déjà aux prises avec les suppliques et les menaces de sa seule héritière véritable. Cesse de jeter ton venin ! Cette furie nous cause bien assez de souci ! Allons, sors, si tu ne veux pas que je te caresse avec ceci à ton tour !

Et il fit claquer dans les airs une longue lanière de cuir usée et râpée, mais qui cinglait encore singulièrement.

Roque sortit en ricanant bruyamment et fit place à son frère aîné, César, bien plus froid et passant bien plus cynique. César était aussi le fils de la marâtre d'Elena et il jalousait cette dernière, de dix ans sa cadette, car son nom était couché en premier sur le testament de leur père. Roque et César avaient en effet été adoptés par don Lope et ce mariage entre Elena et le marquis de Serafin permettait non seulement d'accéder à une partie de la fortune des Serafin – qui était colossale – mais également de forcer Elena à céder ses droits testamentaires à César. Doña Luisa, la seconde femme de don Lope et la mère de Roque et César, avait œuvré – et œuvré avec une finesse admirable, il fallait le reconnaître – pour que le mariage suggéré par un ministre du roi à la naissance d'Elena de Barbastre s'accomplît dûment.

Ce ministre, qui connaissait les familles Barbastre et Serafin, savait que d'innombrables querelles ensanglantaient leurs relations, et troublaient le royaume de Castille. Ami de la mère d'Elena, proche du père de don Alejandro, il leur avait demandé d'unir Elena à un fils Serafin, les forçant par décret royal à apposer leur sceau sur un document de fiançailles. Elena devrait épouser un Serafin, sans quoi la moitié des rentes des deux familles reviendraient à la couronne. Celui des deux partis qui romprait le contrat perdrait son honneur publiquement et devrait rendre ses titres devant la cour d'Espagne. Il n'existait qu'un seul document attestant cette alliance, et le ministre aux volontés pacifiques mourut sans laisser trace du terrible document.

Terrible pour les Serafin, précieux pour don Lope, qui rêvait de redorer son blason, sa fortune et son honneur par cette union inestimable. Doña Barbastre, de son côté, avait tout tenté pour faire disparaître le document elle-même, souhaitant protéger sa fille Elena, en vain. À la mort de Doña Barbastre, don Lope prit une épouse à sa mesure, doña Luisa, et cette dernière parvint à entrer en possession du document.

Or, les parents d'Alejandro étaient morts depuis longtemps, et l'unique prétendant qui restait pour l'enfant Barbastre était un jeune homme de dix-neuf ans. Don Alejandro, élevé par un oncle Serafin, n'apprit quelle était sa destinée que lors de son retour sur ses terres. Il avait vingt ans, Elena en avait dix, et le marquis de Serafin avait déjà en horreur cette union future. Il eut pu mettre sa vie en danger au combat, mais il avait une unique raison de ne pas se faire tuer vainement, et il respectait cette raison sacrée. Cependant, il attendait avec angoisse le jour où la Cour le rappellerait à l'ordre, comme l'avait fait, un sourire mielleux sur les lèvres, dès son retour sur la marche de Serafin, doña Luisa, épouse de don Lope.

Elena était terrorisée à l'idée de rencontrer ce marquis. Roque et César lui avaient répété combien il la haïssait à cause de son sang Barbastre, à cause de son père, don Lope, et à cause du fait que doña Luisa – une femme – lui eût forcé la main. C'était un guerrier, un officier de la marine du roi, connu pour sa sauvagerie, sa cruauté, sa violence. Il avait connu des centaines – selon Roque des milliers – de corps peu vertueux, et les coups de lanière qu'Elena avait reçus pour son insolence et ses rébellions ne seraient rien face à ce que lui allait lui faire subir. Et cette nuit de noce tant redoutée...

Faena CumbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant