19. Gabriel

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Merci beaucoup à @Bullereveuse! La citation est magnifique, et tellement vrai!

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13ans en arrière (pour celles qui n'ont pas remarqué, c'est plus loin encore que les précédents flash)

Gabriel gratta distraitement la peau entoura sa blessure. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi sa plaie s'entourait d'un halo rouge. Il avait bien envie de toucher un peu, pour voir de plus près le phénomène, mais ça faisait quand même vachement mal! Le petit garçon avait sifflé entre ses dents serrées lorsque Evangeline avait tenu à lui faire un bisous spécial dessus, comme maman n'était plus là pour les faire à sa place. Elle pensait que cela l'aiderait à partir définitivement et, à présent, Gabriel commençait à en douter. Elle s'était endormie dans ses bras, comme presque tout les jours, et il ne voulait pas la réveiller. Pourtant, son bras s'engourdissait, comme si des milliers de petites fourmis rouges le piquaient.
Pour passer le temps, il comptait les respirations d'Evy. Gaby aimait beaucoup faire ça. C'était la seule qualité du silence, en fait.
Cela lui permettait de percevoir les inspirations régulières de sa petite sœur. Sa maîtresse lui avait dit que l'air entrer dans deux petits sacs gonflables pour ensuite aller nourrir le cerveau. Elle avait aussi dit que, une fois qu'on ne respirait, on partait très loin.
Est-ce que sa maman avait arrêté de respirer, alors? Parce que, depuis vingt-quatre jours, il ne l'avait pas vu. Il avait un peu eu mal à compter jusque là aussi, à cinq ans. Peut-être avait-il inversé quelques chiffres, peut-être en avait-il oublié quelques autres.
En tout cas, Evy aussi commençait à trouver que c'était long.
Gabriel n'avait pas osé en parler à sa petite-sœur, il avait peur de l'inquiéter, mais papa était bizarre ces derniers temps. Cela avait commencé un soir, lorsque Gaby s'était levé de sa chambre à cause d'un bruit. Il l'avait trouvé, sanglotant contre le lit qu'il devait partager avec maman. Si le petit garçon avait bien eu envie de parler, le prévenir qu'on devait dormir dedans et non à côté des couettes, son père avait posé un doigt sur ses lèvres. Et Gabriel avait dû retourner se coucher. C'était ce jour-là également qu'il avait dormi pour la première fois avec Evy. Elle n'avait que trois ans, elle ne prenait pas beaucoup de place dans son lit. Pour une raison qu'il ignorait, un instinct plus précisément, il avait été la rejoindre. Et il avait écouté le silence.
Puis, d'autres jours avaient passé. Et là encore, Gabriel n'écoutait pas assez à l'école pour savoir le nombre exact. Papa n'était pas rentré et Evy avait râlé, elle avait faim. Alors, Gabriel avait attrapé maladroitement le pot de chocolat et celui-ci s'était renversé. Evangeline avait trempé son doigt dans la pâte étalée sur le sol mais Gabriel l'avait grondé. Il n'avait pas envie qu'elle se coupe la langue. Alors, il lui avait donné quelque chose dans le frigo, quelque chose qu'il était assez grand pour attraper.
Puis, il avait mis sa petite sœur au lit et avait attendu son père. Maman lui avait toujours dit de laisser les adultes ramasser la vitre, parce que cela pouvait faire très mal. C'était coupant.
Il ne savait pas combien de temps il avait attendu dans la cuisine. Trois coups avaient sonné sur la grande horloge et c'était là son seul repère. Gabriel était content qu'elle ne sonnait pas trop souvent, il n'aurait pas été capable de tout compter dans le cas contraire.
Puis, il avait vu une ombre d'homme tanguer légèrement de gauche à droite sur le paillasson. Au début, il avait eu peur. Puis, il avait reconnu son papa, une bouteille vide à la main. Son sourire s'était agrandi et se prépara à lui sauter dans les bras.
Mais lorsque son papa ouvrit la porte, il ne fut pas vraiment content de trouver le petit garçon par terre, parmi tout le chocolat.
Et alors, il avait crié. Très fort. C'était la première fois que Gabriel le voyait si en colère. Tellement en colère qu'il en avait jeté sa bouteille à terre. Gaby se boucha les oreilles. Le bruit résonnait drôlement après tout ce silence.
Puis, son père avait tenté de monter l'escalier mais il trébuchait à chaque marche. Alors, il jura et se coucha dans le canapé.
Et Gabriel avait ramassé le verre.
Et il s'était coupé.
Et cela avait été sa première blessure.

Fragiles (sous contrat d'édition) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant