J'étais garé sur le bord de la route, cigarette en main et fixant le pont vide et faiblement éclairé qui se trouvait devant moi. Je sentais l'air frais qui passait par ma vitre baissée et profitais du silencieux calme qui m'entourait. Cette route n'était pas très empruntée, encore moins la nuit, et c'est pourquoi je fus étonné en voyant une ombre s'avancer à la lumière des vieux lampadaires. La démarche était lente, la tête tournait constamment comme celle d'une proie à l'affut et la carrure laissait pensé qu'il s'agissait d'un homme. La silhouette s'arrêta au milieu du pont, contre le muret qui le longeait et, alors que je laissais doucement s'échapper une fumée opaque de ma bouche, elle s'assit par terre et replia ses genoux contre son torse. Je la vis sortir son téléphone sans que je puisse savoir ce qu'elle faisait. J'observais ce tas de chair recroquevillé sur lui-même sans vraiment chercher à comprendre. Il ne bougeait pas, ne paraissait même pas respirer. Je sentais la morsure du froid dans ma nuque nue mais lui ne semblait nullement dérangé par ce détail, simplement absorbé dans la contemplation de son écran. Finalement, l'homme se releva et se tourna face à l'eau. Pendant que je sortais mon bras de ma voiture pour faire tomber la cendre de ma cigarette, il passa précautionneusement une jambe de l'autre côté du muret, puis l'autre, avant de se retrouver assis, les jambes dans le vide. Je le vis pencher la tête en arrière comme s'il admirait le ciel. Je n'ai pas très bien compris l'utilité, les nuages voilant complètement les étoiles. Puis il rabaissa la tête et ses épaules se soulevèrent, surement parce qu'il venait d'inspirer profondément.
J'ouvris ma portière et fit tomber mon bâton de tabac avant de l'aplatir avec mon pied. Je claquai ma portière et m'avançai vers cet inconnu. Le bruit lui fit tourné la tête mais je ne pus apercevoir son expression, ou bien n'y ai-je pas fais attention. Il se détourna pour recommencer à donner son attention à ce qui se trouvait en bas alors que j'arrivais à sa hauteur.
-Vous auriez du feu ?
Il me regarda de nouveau, et je vis enfin son visage et ses yeux étonnés. Devant son incompréhension, je renchérie en sortant mon paquet de cigarettes :
-Vous auriez un briquet ?
Il secoua enfin la tête avant de se racler la gorge.
-Non, désolé.
Il soupira et ses épaules s'affaissèrent. En longeant du regard son bras, je me rendis compte que ses doigts s'agrippaient au bord de pierre comme s'ils cherchaient à s'enfoncer dedans. Je me retournai et appuyai le bas de mon dos contre le muret.
-J'aime cet endroit, il est calme. Je viens souvent m'arrêter juste avant ce pont et fumer. Sans réfléchir, sans penser, juste fumer.
Je lui jetai un coup d'œil et j'eu l'impression qui s'était un peu recroquevillé, comme lorsqu'il était par terre. Je renversai la tête en arrière pour regarder cette gigantesque vague de fumée céleste.
-Tu regardais quoi ?
Du coin de l'œil, je le vis tourner la tête. Comme il ne répondait pas, je continuais :
-Tout à l'heure, juste avant que j'arrive, tu as regardé le ciel. Il y a quoi à voir ?
Il releva lentement la tête et haussa des épaules.
-Je sais pas trop, j'avais envie. Je pensais pouvoir voir les étoiles.
J'haussai à mon tour des épaules.
-Il sera surement plus dégagé demain.
Il souffla du nez puis éclata soudainement de rire. Etonné, je me retournais pour poser mes bras contre la pierre et le regarder rire. J'aperçu alors une larme perler au coin de son œil. Son rire se transforma lentement en sanglot et bientôt son visage fut inondé. Je fixais cet homme qui s'effondrait devant moi, sans bouger. Ses yeux se perdirent un instant dans les nuages puis se baissèrent vers son téléphone qu'il venait de sortir. Je voyais son visage se déformer en essayant de réprimer une nouvelle vague de sanglots puis il balança son portable par terre.
-Et merde, bordel ! Cria-t-il avant de se pencher en avant.
Je le vis s'élancer, ses mains lâchant le bord et ses jambes le poussant. Je ne me rendis compte de ce qu'il faisait que lorsque son corps s'aplatit dans l'eau noire. Je pris mon téléphone pour appeler le SAMU tout en ramassant le sien. L'écran était fissuré mais était resté allumé, je pouvais donc voir ce qu'il avait si longtemps fixé. L'écran me montrait une jeune femme plutôt mignonne qui souriait de toutes ses dents, dans les bras de l'homme qui venait de sauter et qui lui embrassait la joue.
-Idiot, ricanai-je en sortant une cigarette et un briquet.
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Dans ma tête
Truyện NgắnMélange de toutes petites histoires plutôt sombres qui me passent par la tête. Tout et n'importe quoi s'y entrechoquent pour former ce livre aux multiples personnalités.