Sa respiration est lourde, sa peau est pâle, son front est trempé, ses yeux sont rouges et il lutte pour ne pas les fermer. J'essuie son visage puis prends doucement son poignet. Les battements sont faibles.
Ses lèvres se mettent soudainement à bouger laissant échapper une voix faible et rauque. J'approche mon oreille.
« ... l'or bleu... il faut arrêter, on doit protéger l'or bleu... c'est le seul argent qui compte... »
Il inspire difficilement, ses poumons sifflent. Je m'éloigne en soupirant, triste. Je détourne mes yeux un instant de ce corps affaibli pour regarder les deux énormes bidons à moitié vides qui se trouvent au fond de notre abri. A nous deux, nous ne pourrons pas tenir plus d'une semaine. Un râle attire de nouveau mon attention sur le malade. Je passe encore une fois le vieux T-shirt qui sert de chiffon sur son front. Au même moment, ses yeux se ferment et ses poumons se vident complètement. Les coudes appuyés sur mes genoux, je pose mon front contre mes mains jointes. Après avoir pris une grande inspiration, je me lève.
Il faut éviter une contagion. J'enroule la couverture autour du corps puis l'attache pour la maintenir. Je pousse ensuite le paquet sur le sol. Le bruit qu'il fait en atterrissant me fait grimacer. Il faut éviter une contagion. Me saisissant du tissu, je me mets à le tirer pour le sortir de notre abri.
« Désolée mon vieux mais tu connais la procédure. »
Il faut éviter une contagion. Je traverse un paysage terne, désert, mort. Je ne m'y habituerais jamais. J'arrive dans un grand entrepôt complètement vide si on ignore ce tas noir en plein milieu. J'ai un frisson en m'approchant de cette montagne de cendre. Il faut éviter une contagion. Je positionne bois et papiers et craque une allumette. Le feu prend rapidement et l'odeur de chair brulée envahit le bâtiment. Je ferme les yeux en m'éloignant. Il fallait éviter une contagion. C'est la dernière fois que je sens cette odeur.
Je retourne dans l'abri et me saisit d'un couteau. Prenant une grande inspiration, je me mets face à notre mur. Empoignant la lame, je la lève et commence à le gratter avec. Mon bras me fait rapidement mal mais je ne m'arrête que lorsque j'eu finis. Je me recule et laisse mes yeux parcourir le mur. Ils s'arrêtent sur chaque prénom, faisant remonter un visage, une voix, un souvenir. Ils sont tous là, à jamais gravé. Il en manque juste un.
Je tourne la tête un instant pour regarder le seul tableau qui décore notre abri. Ce paysage coloré contraste complètement avec les murs gris et le sol noirs de crasse. L'homme qui l'a peint avait du talent et surtout beaucoup de chance. Je ne connais ces grandes forêts vertes que grâce aux histoires des plus vieux et aux images que j'ai pu trouver, comme ce tableau. Je n'ai jamais vu ce ruisseau bleu qui caresse presque les arbres, je n'ai jamais pu gouter à ces fruits qui ont l'air de boutons rouges sur les buissons, je n'aurais jamais cru possible de voir réunit autant d'espèces différentes qui me semblent sorties d'un rêve. Depuis que nous nous sommes installés ici, j'ai eu le temps de détailler cette peinture et je me surprends toujours à essayer d'imaginer ce que ça fait de marcher pieds nus dans l'herbe. Je souris légèrement en repensant à toutes les rêveries que nous nous étions racontés devant cette image qui était, dans un passé immémorial, banale. Puis je soupire et serre le manche de mon outil.
M'asseyant, je recommence à gratter le bois avec le couteau. Je prends le temps pour chaque lettre. Une fois terminé, je le caresse du bout des doigts. Je vais ensuite chercher le pistolet que nous gardions précieusement dans une boite derrière les réserves d'eau, puis je me mets face au mur en tailleur. J'enlève le cran de sureté et le mets contre ma tempe, gardant les yeux grands ouverts, rivés sur ce dernier prénom.
Je suis le dernier humain de la terre.

VOUS LISEZ
Dans ma tête
Short StoryMélange de toutes petites histoires plutôt sombres qui me passent par la tête. Tout et n'importe quoi s'y entrechoquent pour former ce livre aux multiples personnalités.