Chapitre 14

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Zehlia soupira. Rien n'allait plus. En 597 années, elle avait vécu bien des choses, mais jamais elle ne s'était trouvée dans une impasse tel que maintenant. En même temps, elle avait vécu isolée du reste du monde, s'entraînant jour et nuit testant un peu plus à chaque minutes les limites de son corps d'immortel. Mais maintenant ? Bien des choses s'étaient passées et elle avait peur que son désir de se venger s'était adouci avec le temps. Elle avait pourtant fait une promesse. Si toutes ses années l'avaient endurcit, elle n'avait pas oublié. Le souvenir de cette nuit maudite où elle avait perdu son statut d'humaine était gravée dans sa mémoire. Que dirait son père s'il la voyait ? Il voudrait la tuer. Il n'hésiterait même pas. Et il aurait raison.

Il ne fallait pas qu'elle pense à tout ça. Les temps avaient changé. Elle avait vu ce monde évoluer, les gens mourir autour d'elle tandis qu'elle demeurait sans vieillir. Toujours debout... Elle était peut-être plus forte, mais plus le temps passait, plus elle se sentait fatiguée. Elle était las de cette vie. Combien de temps s'était-il écoulé depuis qu'elle s'était jurée que pour elle tout serait fini une fois qu'elle aurait accompli ce pourquoi elle était encore là ? Si longtemps... L'ennui et la solitude avaient été ses seuls compagnons dans cette course contre la montre. Et encore maintenant... Bran la soutenait et, même si elle ne lui avouerait jamais, elle lui en était reconnaissante. Mais le fait qu'elle ai besoin d'aide la démoralisait. Jamais quelques années plus tôt elle n'aurait bu par erreur du Nectar. Jamais. Son subconscient voulait-il sa mort ? Voulait-elle elle-même mourir ? Bran avait raison. S'il était venu à ce moment là, elle n'aurait pas pu tenir sa promesse. Car elle serait morte. Elle s'en était maintenant rendue compte. La prochaine fois serait la dernière. De un, parce que les Maîtres allaient lui mettre des bâtons dans les roues par la suite, et de deux, parce qu'elle ne serait pas capable de vivre encore plusieurs centaines d'années en se contentant d'observer les humains évoluer tandis qu'elle, elle avait cessé depuis longtemps de changer.

Elle les enviait tellement. Ils avaient la vie devant eux. Ils allaient tous mourir un jour, mais c'était cette même perspective qui faisait de leur vie un véritable rêve pour Zehlia. Ils profitaient du mieux qu'ils pouvaient de ce que ce monde avait à leur offrir en sachant parfaitement qu'un jour tout prendrait fin. Ils avaient encore des amis et des rêves pleins la tête. Qu'avait-elle, elle ? Juste une vengeance qu'elle n'était même pas sûr de pouvoir accomplir. Une infime étincelle qui la maintenait en vie. Mais dans quel but ? A quoi servait donc tout ça ? Bran avait encore raison. Elle n'aurait pas voulu ça. Elle n'aurait pas voulu voir tout ce qu'elle avait fait. Zehlia le savait. Mais alors, pour qui se battait elle ? Pour... elle-même ? C'était ça la réponse ? Elle se battait pour elle ? Que c'était idiot. Elle ne savait plus vraiment où elle en était, mais elle découvrait petit à petit ce qu'elle craignait de découvrir.

Je me bâts pour moi... Pour espérer inutilement avoir une deuxième chance, songea-t-elle avec effroi. Je me bâts en espérant tout au fond de moi, que ma vie en tant qu'humaine me soit rendue. Qu'elle me soit rendue.

Certains humains croient en une renaissance. Ils pensent qu'après la mort, leur âme se réincarne dans de nouveaux corps. Elle aussi y croyait.

- Tu sais Zehlia, je pense que la mort n'est qu'une étape.

- Une étape ?

- Oui. Je suis persuadée que quand on sera morts tous les trois, on se réincarnera dans de nouveaux corps ! Et tu verra, on se rencontrera de nouveau dans une nouvelle vie !

- Décidément, tu parles comme une adulte. Tu ne veux pas rester un enfant toute ta vie ?

- Non je ne veux pas ! Moi je veux devenir grande et aussi belle que toi Zehlia !

- Ne t'en fais pas. Tu seras très belle. Même plus que moi.

- ... Il n'y a personne de plus magnifique que toi...

- Tu as le temps.

Son propre rire lui parvint de ce court flashback gravé dans sa mémoire. Depuis combien n'avait elle pas ri aussi sincèrement ?

OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant