Chapitre 9 : première mission

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Herenui 

La pleine lune était haute dans le ciel, éclairant d'une lumière blafarde les rues de la ville endormie. Les tavernes avaient fermé et les rues étaient désertes. Maeno, bruyante et fourmillante d'activité en journée, était silencieuse. Herenui se déplaçait avec agilité sur les toits du quartier. Toute de noir vêtue, son ombre glissait sur les tuiles. Elle avait pris soin de cacher ses cheveux sous un foulard, car, au contraire de sa peau mate, la moindre lumière se reflétait dessus. La maison du marchand n'était pas loin. C'était une demeure spacieuse mais ses murs étaient collés aux autres maisons, ce qui limitait les options de l'assassine. Elle avait donc choisit de s'infiltrer par le patio. Elle sauta délicatement de l'habitation voisine et atterrit silencieusement dans le jardin, sur un carré de gazon agrémenté de statues et buissons. Elle se figea quelques secondes, scruta les alentours et se dissimula derrière un marbre, représentant une femme gracile. Elle reprit sa respiration et fit un point de la situation. Elle entendait les gardes discuter dans l'entrée. Elle savait qu'ils étaient quatre à surveiller la grille d'entrée, et que deux gardaient la chambre dans le bâtiment principal. La cour dans laquelle elle se trouvait séparait la propriété, permettant aux résidents de ne pas entendre le bruit de la rue en journée et d'avoir un carré de verdure rafraichissante. Elle était assez vaste, avec un bassin en son centre et était encadrée de corridors. La démone la traversa et poussa avec prudence la porte de la maison avant de s'y introduire.

Aucun son n'émanait du hall. De grandes tapisseries recouvraient les murs, affichant la fortune de l'hôte à ses invités lorsque ceux-ci étaient conviés en sa demeure. Des objets de grande valeur étaient disposés sur des piédestaux un peu partout dans la salle. Sur la droite, une immense arche finement décorée menait à la salle à manger, tandis qu'à gauche, une autre plus modeste mais tout aussi admirable menait à la bibliothèque et au bureau du maître des lieux. Au centre, un escalier imposant, agrémenté d'une rambarde métallique finement ouvragé menait vers les chambres. 

Derrière elle, la poignée de la porte d'entrée s'abaissa en grinçant, tirant la démone de sa contemplation. Quelqu'un rentrait dans la piece. Elle recula précipitamment,  se colla au mur, près des gonds et retint sa respiration. De qui pouvait il bien s'agir? Elle n'avait pas entendu de bruit provenant de la cour, et elle pensait avoir été assez discrète lors de son infiltration dans le jardin. Le battant pivota puis s'immobilisa. Une main se posa sur la tranche et commença à refermer la porte. C'est le moment que choisit l'assassine pour frapper. Elle se jeta sur l'homme, un des quatre gardes normalement stationnés à l'extérieur. D'un mouvement rapide, elle lui porta un coup à la gorge qui le tua presque instantanément. Grâce à la force physique supérieure des démons, elle retint la chute de sa victime et la déposa sans bruit sur le sol. 

Cet imprévu était le petit grain de sable dans un plan parfait que tout assassin redoutait. Elle n'avait pas eu d'autre choix que de neutraliser le soldat. Il l'aurait aperçue et donné l'alerte en la mettant dans une situation délicate. Elle devait maintenant faire vite. Elle ne savait pas ce qu'était venu faire le veilleur ici, mais elle était sûre, cependant, que ses collègues se rendraient compte que leur ami n'était pas revenu. Elle gravit donc les marches à une cadence rapide tout en imbibant les projectiles de sa sarbacane de sédatif, et s'engagea dans un couloir sombre.

Les deux soldats étaient devant la chambre de leur patron et veillaient à tour de rôle. L'un était endormi, assis sur un tabouret tandis que l'autre effectuait son quart, en faisant des allers-retours dans le couloir qui donnait également accès aux appartements du reste de la famille. Cette aile du bâtiment était desservie par un corridor qui menait à l'escalier. Herenui attendait à la jonction entre ledit corridor et le pavillon, que le vigile se rapproche d'elle. Dès qu'il fut à sa hauteur elle lui tira une fléchette dans la nuque. Elle bondit sur lui, couvrant sa bouche pour ne pas qu'il puisse crier et réveiller le deuxième homme ou sa cible. L'homme tenta de se débattre quelques secondes mais le sédatif fit rapidement effet et il s'affaissa, délicatement allongé par la démone pour faire le moins de bruit possible. Elle prépara un nouveau dard qu'elle envoya vers le deuxième garde, pour ne pas risquer de se faire surprendre. L'homme ne broncha pas et l'assassine s'avança vers son but. Le marchand dormait dans un grand lit baldaquin et ronflait bruyamment. Herenui l'observa quelques secondes. Elle déposa sur un des oreillers la lettre que son commanditaire souhaitait qu'elle livrât et se retira aussi silencieusement qu'elle était venue.

Ne sachant pas si les trois hommes de main restants avaient découvert ce qui se tramait, elle prépara trois nouvelles fléchettes. Elle descendit les escaliers, enjamba le cadavre dans le hall et sortit dans le jardin. La voie semblait libre et elle commença à chercher un moyen de remonter sur les toits lorsqu'elle perçut un mouvement du coin de l'œil. Elle s'immobilisa et analysa la situation. Un des veilleurs se dirigeait vers le bâtiment principal, empruntant le couloir opposé au sien. Elle pouvait attendre que ce dernier s'engage dans le hall et s'échapper prestement. Mais elle pouvait aussi le mettre hors d'état de nuire. Et peut-être aussi les deux autres si elle s'y prenait correctement. L'adrénaline monta en elle à cette pensée. Sa mission était d'impressionner son ennemi, il fallait donc lui démontrer son talent. Elle prit sa décision rapidement et se positionna avec sa sarbacane, ajusta sa cible et la toucha. Pendant qu'il s'écroulait, Herenui rechargea son arme et se mut rapidement vers la grille d'entrée. Intrigués par le bruit sourd qu'ils avaient entendu, les portiers abandonnèrent leur poste pour tenter d'apercevoir ce qu'il se passait. Ils avançaient prudemment, tentant de distinguer leur ami.

-"Guillermo, t'es là?" demanda l'un des deux "Aie! Ça pique c'est quoi ce tr..."

il n'eut pas le temps de finir sa phrase et s'effondra, KO, provoquant la panique du second, dont les yeux n'arrivaient pas à s'accoutumer à la pénombre. Alors qu'il ne savait plus où donner de la tête, une silhouette noire s'approcha de lui. Il croisa le regard rouge sang de l'inconnu, avant de perdre connaissance. Herenui se pencha et ramassa les clefs à la ceinture d'un des hommes. Elle ouvrit la grille d'entrée en grand et s'en fut, laissant derrière elle des gardes ridiculisés et un marchand qui ne tarderait pas à angoisser toutes les nuits. Elle se mit tranquillement en route vers le lieu où Fernando devait la récupérer. Cette première mission se terminait sans encombre. Tout le stress accumulé disparu. Herenui, disciple de la prodige Hinevara, était de retour au sommet de sa forme, et elle ne comptait pas s'arrêter là si elle voulait un jour retrouver la liberté. Elle laissa le sentiment de puissance qui accompagnait les missions réussies l'envahir et c'est d'un pas décidé qu'elle rejoint la voiture qui l'attendait.

Fernando :

Le lendemain après-midi, Fernando fit à nouveau route vers Maeno, pour rencontrer le commanditaire. Ce dernier l'invita chaleureusement à entrer dans sa demeure, un immense manoir, aux abords de la capitale. Il lui servit un verre de vin d'un grand cru et le félicita pour la réussite de la mission. Il lui raconta de façon jubilatoire comment l'escroc était venu dans la matinée, honteux et apeuré. Le fait d'avoir été réveillé par ses hommes, affolés, et la lecture de la missive sur son oreiller lui avaient fait comprendre qu'il s'était peut être attaqué à un trop gros morceau. C'est donc penaud, qu'il avait accepté de rembourser la somme demandée par le conseiller. A ce souvenir plaisant, il remplit à nouveau sa coupe et celle de son visiteur. Ils discutèrent ensuite du paiement de Fernando. Le haut dignitaire lui remit sans rechigner une bourse bien remplie et lui promit d'informer ses amis du professionnalisme et de l'efficacité du marchand, ce qui lui attirerait sûrement nombre de contrats juteux. Le négociant le remercia et s'en fut. Dans le coche qui le ramenait chez lui, il ne put contenir son sourire de satisfaction. La réussite totale de la nuit dernière allait améliorer sa réputation toujours grandissante et déboucher sur de nouvelles offres. Et surtout il avait enfin pu se rendre compte du talent exceptionnel de la démone lorsqu'elle lui avait fait un compte rendu de l'opération. Elle était un mélange de sang-froid, d'intuition et d'efficacité. Il en était convaincu, sa bonne étoile continuait de briller, et il deviendrait vite un des hommes les plus influents de Maenie. 



L'aventure d'Herenui [1ere version/incomplet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant