Chapitre 8 : la résidence de Fernando

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Le bruit de la clef tournant dans la serrure réveilla les deux esclaves. Un garde leur apportait le petit déjeuner. Il était accompagné par le traducteur, qui les informa que le capitaine passerait les chercher dans la matinée.

Ils firent route vers les faubourgs de Maeno et arrivèrent à l'entrée d'un vaste domaine. Fernando avait acheté ce terrain il y a plusieurs années, au début de sa carrière de marchand. Il avait aménagé une résidence spacieuse, et rajouté, au fur et à mesure, des granges, pour stocker diverses ressources, et des baraquements, pour loger ses hommes.

 La fortune du capitaine s'était faite sur la diversité des services qu'il proposait. C'était un très bon négociateur, qui savait tirer son épingle du jeu. Il avait rapidement fait fructifier ses bénéfices, investissant dans des navires, pour étendre les frontières de son influence. Il savait toujours se mettre au diapason des nouvelles tendances. Il avait acquis une bonne réputation dans les hautes sphères du pouvoir. C'était l'homme capable de ramener les objets les plus rares, du moment que vous ne regardiez pas ses méthodes et que vous aviez assez d'or pour vous payer ses services. 

Il avait commencé la vente d'esclave il y a cinq ans, après avoir formé une petite armée de soldats, et les demandes de plus en plus pressantes de sa clientèle pour des démons l'avaient poussé à lancé une expédition avant l'arrivée de l'hiver. L'homme d'affaire était satisfait de son voyage. Les îliens s'étaient arrachés à bon prix parmi ses commanditaires les plus fortunés. Il avait aussi fait main basse sur de nombreuses denrées, qu'il utiliserait pour nourrir ses employés, ou qu'il revendrait au cœur de l'hiver, lorsque la nourriture était un peu moins abondante, pour en tirer un maximum de bénéfices. Mais ce qui le satisfaisait le plus était la capture de cette jeune tueuse. Il avait toujours eu une bonne étoile, qui lui permettait dénicher les meilleures affaires. Et cette fois son intuition lui disait qu'Herenui avait un talent rare qu'il pourrait mettre à profit.

 Il ne l'avait jamais vu assassiner, mais son aisance au combat et sa démarche furtive ne trompaient pas. Dès qu'elle aurait récupéré de sa blessure à la cuisse, il l'emmènerait en mission. Lors des ventes de la veille, il avait accepté trois contrats qu'il jugeait facile. Il voulait jauger sa recrue avant de l'envoyer dans des missions plus périlleuses. Il regarda l'adolescente aux cheveux blancs. Celle-ci était captivée par le paysage qui défilait à travers la vitre de la voiture, tirée à toute vitesse par les chevaux.

Le spectacle qu'Herenui apercevait par la fenêtre la pétrifiait. Rien ne ressemblait à ses terres natales. L'apparence physique des maeniens, leur style architectural, leur accoutrement. Chaque détail rappelait à la mercenaire qu'elle était à des milliers de kilomètres de chez elle. Les volcans couverts d'une végétation luxuriante étaient remplacés par de vastes plaines, divisées en plusieurs champs s'étendants à perte de vue. La perte de tous ses repères noua son estomac. Elle tenait la main de Natsuko dans la sienne, et elle s'accrocha à leur début d'amitié pour ne pas sombrer dans la tristesse. Elle s'était jurée de les sortir toutes deux de ce mauvais pas, et ce n'est pas en se mettant à pleurnicher à la moindre baisse de moral qu'elle avancerait.

 Une fois arrivés à la résidence, Fernando leur donna ses instructions. Elles allaient être logées dans une petite dépendance spécialement libérée pour elles. Elles auraient aussi carte blanche pour leurs activités tant que la démone ne serait pas entièrement remise. Les hommes avaient été avertis des conséquences qui les attendaient s'ils levaient la main sur l'une de deux captives et ces dernières se virent remettre deux poignards pour se protéger si nécessaire d'un soldat trop téméraire.

Trois semaines s'écoulèrent. Les jeunes filles commençaient à se faire à leur nouveau style de vie. Leur mobilier était confortable et le capitaine avait accédé à la plupart de leurs requêtes. Elles avaient obtenu de nouveaux vêtements plus chauds, pour faire face à l'arrivée de l'automne, ainsi que des armes et des plantes vénéneuse pour Herenui. L'homme savait qu'elles ne tenteraient rien contre lui, car elles ne connaissaient pas les alentours. Il n'hésita donc pas à lui fournir le meilleur matériel pour qu'elle puisse se préparer. Les journées des deux captives étaient rythmées par de nombreuses activités. La matinée était dédiée aux activités physiques. Séances d'étirements, d'escrime, de musculation. L'assassine essayait de transmettre ce qu'elle savait à la Hokorie, pour qu'elle sache elle aussi se défendre. En retour, celle-ci lui apprenait le vocabulaire de base des langues maenienne et ebenenoise. Mais la tribu de l'archipel n'ayant pas le même alphabet que celui du grand continent, la tâche se révéla ardue. Le soir, avant d'aller se coucher, la guerrière préparait des poisons qu'elle stockait ensuite dans des fioles.

Au milieu de la semaine, lorsque Fernando vint les voir, Herenui lui annonça être prête pour ses missions. Il fut donc décidé que la première aurait lieu le lendemain. Il expliqua rapidement l'objectif de celle-ci. La cible était un marchand peu respectueux qui avait eu le malheur de s'attirer les foudres d'un haut conseiller du roi. Ce dernier estimait que les produits qu'on lui avait vendus n'étaient pas de la qualité attendue, et il avait demandé des compensations. Mais le négociant, peu scrupuleux, avait violemment éconduit les messagers portants la réclamation. Échaudé par l'audace de son arnaqueur, le haut dignitaire avait donc cherché un moyen de se venger. Et il l'avait trouvé lors de cette vente d'esclave, en la personne du capitaine.

 En discutant avec lui, il lui avait confié cette histoire qui l'agaçait. Son interlocuteur lui avait donc suggéré un plan qu'il trouva très intéressant. Moyennant paiement, il enverrait un assassin donner un dernier avertissement à cet homme indélicat. Le tuer directement aurait été stupide puisqu'il n'aurait pas pu rembourser l'argent que lui réclamait l'acheteur. Il fallait donc suffisamment l'effrayer pour qu'il revienne sur son choix. Le but d'Herenui était simplement de déposer une lettre de menace à côté de sa cible.

Fernando lui remit les plans de la maison de la victime et s'en alla. La guerrière déplia le parchemin, les annotations inscrites et les quelques informations qu'avait rajouté le capitaine étaient traduites, ce qui permit à Herenui de se faire une bonne idée de la situation. D'après les informations collectées, seul une demi-douzaine d'hommes de main étaient postés la nuit. Elle décida donc de préparer pour le lendemain une sarbacane avec des fléchettes sédatives.

 Hinerava, sa préceptrice, lui avait enseigné d'éviter de tuer à outrance. Cependant la situation était différente pour cette fois. Elle ne devait pas tuer la cible, mais juste l'effaroucher. Elle envisageait donc l'option d'éliminer le chef des gardes, pour intimider l'ennemi et lui faire comprendre les risques d'un nouveau refus aux compromis que lui proposait le haut dignitaire. Bien sûr, elle tuerait si sa sécurité était menacée, mais elle espérait être la plus efficace possible.

 Elle repéra les failles potentielles dans la sécurité et établit différents itinéraires possibles pour atteindre la chambre de l'arnaqueur. Après avoir choisi ses meilleures options, elle prépara son équipement : une sarbacane, ses poisons, deux poignards. Elle n'avait pas besoin de plus. 

Elle rejoint son lit où dormait déjà Natsuko , elle la poussa gentiment pour pouvoir s'installer. Elle remonta la couverture sur elle et souffla la bougie. Les buches dans l'âtre de la cheminée crépitaient. En fermant les yeux, elle sentit une émotion familière l'envahir. Le stress de la traque. Tous ses sens étaient déjà aux aguets après avoir imaginé l'attaque. Mais elle devait dormir pour être en pleine forme pour le lendemain. La respiration calme et monotone de la hokorie à côté d'elle la détendit. Ses muscles se relâchèrent et elle sombra dans un sommeil tranquille.  



L'aventure d'Herenui [1ere version/incomplet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant